À propos de la décision Kadrey et al. v. Meta Platforms Inc., U.S. District Court, N.D. California du 25 juin 2025
Le 25 juin 2025, le juge Vince Chhabria, siégeant au sein du United States District Court for the Northern District of California, a rendu une décision particulièrement attendue dans le litige opposant plusieurs auteurs à Meta Platforms Inc. L’affaire Kadrey et al. v. Meta pose une question essentielle : l’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur pour entraîner un modèle d’intelligence artificielle peut-elle être considérée comme un usage équitable (“fair use”) au regard du droit américain ?
Treize auteurs de renom, dont Richard Kadrey, Sarah Silverman et Ta-Nehisi Coates, soutenaient que Meta avait utilisé leurs livres – sans autorisation – pour entraîner ses modèles de langage LLaMA et LLaMA 2. Ces œuvres avaient été extraites de “shadow libraries” telles que Books3, Bibliotik ou Library Genesis. Les demandeurs invoquaient une violation de leurs droits d’auteur au titre du Title 17 U.S. Code § 106, reprochant à Meta la reproduction intégrale de leurs œuvres, la création d’œuvres dérivées non autorisées et leur exploitation à des fins commerciales.
Meta sollicitait pour sa part un summary judgment fondé sur l’exception de fair use, prévue par la Section 107 du Copyright Act. Le juge Chhabria a accueilli cette demande, au moins partiellement, à la lumière d’une analyse classique fondée sur les quatre critères de l’usage équitable.
S’agissant de la finalité et du caractère de l’usage, le tribunal a jugé que l’entraînement du modèle sur les œuvres en cause relevait d’un usage transformateur. L’objectif n’était pas de lire ni de reproduire les ouvrages, mais de permettre au système d’apprendre la structure du langage naturel. Le fait que l’usage soit commercial n’a pas été jugé déterminant dès lors que la finalité était scientifique et statistique.
Concernant la nature des œuvres, le juge reconnaît qu’il s’agit d’œuvres littéraires de fiction, relevant d’un haut degré de créativité. Ce facteur plaidait en faveur des demandeurs, mais n’a pas suffi à inverser l’équilibre de l’analyse.
Le tribunal a par ailleurs constaté que les œuvres avaient été reproduites dans leur intégralité, ce qui, en soi, constitue un indice d’atteinte aux droits. Toutefois, cette reproduction a été jugée techniquement nécessaire pour le fonctionnement du modèle, et donc admissible dans le cadre de l’usage transformateur.
Enfin, et surtout, le juge a rejeté les arguments des auteurs sur l’impact économique de cette utilisation. Il relève l’absence totale de preuve d’un préjudice :
“There is no genuine evidence that the inclusion of plaintiffs’ works in LLaMA’s training data has displaced sales of the works or diminished their market value.”
Les demandeurs n’ont versé ni expertise, ni données concrètes, ni éléments permettant de démontrer une perte de revenus, une substitution sur le marché ou une quelconque dilution économique.
En conséquence, le juge a accordé à Meta un jugement partiel favorable :
“Meta’s use of the plaintiffs’ copyrighted works in training LLaMA falls within the boundaries of fair use under Section 107.”
Aucune mesure d’injonction n’a été ordonnée. Les demandes relatives à la restitution des copies, à la suppression ou à d’éventuels dommages moraux n’ont pas été tranchées à ce stade et pourront être réexaminées à la lumière d’éléments de preuve complémentaires.
Cette décision constitue un signal fort en faveur des opérateurs d’IA générative, mais elle ne saurait être interprétée comme une reconnaissance générale du caractère licite de tels usages. Le juge a pris soin de préciser que toute analyse dépendra des circonstances propres à chaque affaire et de la qualité des preuves produites.
À ce jour, l’issue d’actions futures reste incertaine. Les titulaires de droits d’auteur sont invités à anticiper les évolutions contentieuses en documentant leurs préjudices ou en promouvant des mécanismes adaptés de gestion collective des droits. De leur côté, les entreprises exploitant des systèmes d’IA devront intégrer dans leurs stratégies une évaluation rigoureuse des risques juridiques liés à leurs corpus d’entraînement.
Cet article est fourni à titre strictement informatif. Il ne constitue pas un avis juridique. Pour toute question relative à l’interprétation du droit américain, il est recommandé de consulter un avocat admis aux barreaux des États-Unis.