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Actualité
3/11/25

Rupture brutale et mutation technologique du secteur textile : la Cour d’appel de Paris distingue le choix économique de la contrainte sectorielle

Dans un arrêt du 15 octobre 20251, la Cour d’appel de Paris a affiné sa lecture des critères de la rupture brutale de relations commerciales établies, à propos d’un différend opposant deux acteurs du secteur textile. La décision illustre la rigueur avec laquelle les juges apprécient la réalité des causes invoquées pour justifier une baisse soudaine de commandes dans un contexte de mutation technologique.

1. Les faits et la procédure

La société Actua’Tex, active dans la transformation textile, confiait depuis quinze ans à la société Teintureries de la Turdine, spécialisée dans l’ennoblissement et l’impression de tissus, des travaux réguliers d’impression rotative.
À compter de 2015, les commandes diminuent drastiquement. La société Teintureries de la Turdine, estimant avoir été privée de tout préavis, invoque une rupture brutale partielle de relations commerciales établies au sens de l’ancien article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, et assigne son cocontractant devant le tribunal de commerce de Lyon.

Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal :

  • reconnaît l’existence d’une relation commerciale établie de quinze ans,
  • retient la brutalité de la rupture imputable à Actua’Tex,
  • fixe le préavis manquant à quinze mois,
  • condamne cette dernière à verser 202 155 € à son partenaire.

La société Actua’Tex interjette appel, contestant tant l’imputabilité de la rupture que le quantum du préjudice.

2. Les thèses en présence

L’appelante faisait valoir que la réduction du volume d’affaires résultait de l’évolution du marché textile : la demande croissante d’impression numérique aurait conduit à un déclin structurel de l’impression rotative, rendant impossible le maintien des flux antérieurs.
Elle soutenait ainsi n’avoir fait qu’adapter son activité à un mouvement sectoriel inéluctable.

À l’inverse, la société intimée arguait que cette mutation technologique n’expliquait pas la chute de commandes : elle affirmait avoir investi dans des équipements numériques suffisants, et attribuait la décision de rupture à des choix stratégiques internes d’Actua’Tex, notamment à la suite de son entrée au capital d’un concurrent.

3. L’analyse de la Cour

La Cour d’appel confirme le caractère établi de la relation commerciale, suivie, stable et significative de 2000 à 2015, tout en écartant la preuve d’un lien antérieur à cette période.

S’agissant de la rupture, elle rappelle que la responsabilité prévue par l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne sanctionne pas la rupture elle-même, mais sa brutalité, c’est-à-dire l’absence ou l’insuffisance de préavis écrit tenant compte de la durée de la relation et des usages du commerce.

La Cour examine ensuite les causes invoquées par Actua’Tex :

  • la crise du marché textile,
  • la transition vers l’impression numérique.

Or, elle constate que la baisse du chiffre d’affaires d’Actua’Tex n’est pas corrélée à celle des commandes passées à la société Teintureries de la Turdine ; les difficultés sectorielles, amorcées bien avant 2015, n’ont pas affecté la relation jusqu’à la décision unilatérale de réduire le flux d’affaires.
De même, la réorientation vers l’impression numérique n’a pas été précédée de discussions sur les capacités techniques du partenaire, lequel disposait d’ailleurs des équipements nécessaires.

Ces éléments conduisent la Cour à qualifier la rupture de décision interne, librement adoptée par Actua’Tex, excluant toute contrainte extérieure justifiant la baisse d’activité.

4. La durée du préavis et l’évaluation du préjudice

Tenant compte de la durée de la relation (15 ans), de son intensité modérée (environ 5 % du chiffre d’affaires de la société lésée) et de l’absence de dépendance économique, la Cour fixe la durée du préavis suffisant à douze mois.

Elle affine ensuite le calcul du préjudice, retenant la méthode classique de la marge sur coûts variables — seule apte à refléter la perte de marge effectivement subie pendant la période de préavis éludée.
Après rectifications des retraitements opérés par la société intimée, la Cour retient un taux de marge de 49,7 %, appliqué au chiffre d’affaires moyen de référence, puis réduit du flux résiduel maintenu pendant la période litigieuse.

Le préjudice ainsi évalué s’élève à 82 203,88 €, en lieu et place des 202 155 € alloués en première instance.

Les demandes relatives au coût des licenciements économiques sont rejetées : les licenciements, intervenus postérieurement au délai de préavis, ne découlent pas de la brutalité de la rupture mais de sa cessation elle-même.
La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par Actua’Tex est également écartée.

5. Le dispositif

La Cour d’appel de Paris :

  • confirme le principe de la rupture brutale imputable à Actua’Tex ;
  • réduit la durée du préavis de quinze à douze mois ;
  • ramène l’indemnisation à 82 203,88 € ;
  • rejette les demandes accessoires ;
  • condamne la société appelante à verser 8 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens d’appel.

6. Portée de la décision

Par cette décision, la Cour d’appel de Paris réaffirme avec clarté que l’auteur d’une rupture partielle ou totale de relations commerciales ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en démontrant l’existence d’une contrainte extérieure effective.
Ni la dégradation d’un marché, ni la mutation technologique du secteur ne sauraient, à elles seules, justifier une réduction brutale des flux d’affaires si elles ne sont pas directement corrélées à la relation contractuelle en cause.

L’arrêt illustre ainsi une jurisprudence constante, mais ici remarquablement motivée, qui distingue la liberté de gestion économique de la brutalité de l’exécution.
La décision rappelle enfin l’importance, pour les opérateurs industriels, d’anticiper les transitions technologiques par une communication transparente et progressive avec leurs partenaires commerciaux, afin d’éviter que la réorganisation stratégique ne se transforme en faute civile.

Vincent FAUCHOUX
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