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Actualité
3/10/25

Retour sur l’affaire Chanel / Jonak : le parasitisme dans l’industrie du luxe, un combat à mener sans relâche

L’affaire Chanel / Jonak a marqué les esprits dans le secteur du luxe et du droit économique. Elle illustre de façon exemplaire comment le parasitisme protège les investissements et l’identité créative d’une maison de luxe contre des comportements d’appropriation déloyale.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 octobre 2024 (Pôle 5, 1ʳᵉ chambre, n° 22/19513) a mis un terme à ce litige et a fixé des repères clairs sur les limites de la liberté du commerce lorsqu’il s’agit de préserver des valeurs économiques individualisées.

I. Une affaire marquante : la reprise des codes iconiques de CHANEL

La Maison CHANEL, par l’intermédiaire de ses sociétés CHANEL et CHANEL COORDINATION, a bâti une réputation mondiale sur des créations devenues des icônes de mode, notamment la chaussure “slingback” bicolore beige et noir, créée en 1957 et relancée avec succès à partir de 2015, et la chaîne métallique entrelacée de cuir, signature du sac 2.55 et déclinée sur divers accessoires, dont des sandales.

À partir de 2020, les sociétés KARINE et KILMA JONAK, exploitant l’enseigne et le site de vente en ligne Jonak, ont proposé plusieurs modèles – notamment DHAPOU, DHAPOP et la sandale IVANA – reprenant :

  • la combinaison beige/noir caractéristique des slingbacks,
  • le design reconnaissable du bout contrastant,
  • et, pour la sandale IVANA, la chaîne entrelacée de cuir.

Malgré des mises en demeure adressées dès mai 2020, ces produits sont restés commercialisés, ce qui a conduit CHANEL à saisir le Tribunal de commerce de Paris le 17 décembre 2020.

II. Les fondements du litige : la valeur économique individualisée face à la liberté du commerce

CHANEL a agi sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, reprochant à Jonak de s’être « délibérément placée dans le sillage » de la Maison afin de bénéficier indûment de sa notoriété et de ses investissements.

Jonak a opposé plusieurs arguments :

  • la prescription quinquennale (art. 2224 C. civ.), en invoquant la commercialisation de chaussures bicolores depuis les années 2000,
  • l’absence d’intérêt à agir distinct des deux sociétés CHANEL,
  • le caractère non appropriable d’une association de couleurs jugée banale,
  • et la différence de gamme et de clientèle, soulignant que les slingbacks CHANEL (env. 1 000 €) ne concurrençaient pas ses propres produits (env. 120 €).

La Cour a rejeté ces arguments, jugeant que l’action portait sur des modèles précis commercialisés à partir de 2020, excluant toute prescription, et que les deux sociétés CHANEL avaient chacune un intérêt à agir, compte tenu de leur rôle respectif dans la création, la promotion et la fabrication.

Elle a rappelé que le parasitisme sanctionne le fait de « tirer indûment profit des efforts, du savoir-faire, de la notoriété et des investissements d’autrui », tout en réaffirmant le principe de la liberté du commerce, qui autorise la reproduction de produits dépourvus de protection intellectuelle à condition de ne pas se livrer à une captation parasitaire fautive.

III. La reconnaissance du parasitisme : des preuves décisives et des sanctions exemplaires

La Cour a jugé que la “slingback” beige et noir, « créée en 1957 et devenue un modèle récurrent des collections CHANEL », ainsi que la chaîne entrelacée de cuir, qualifiée par la presse de « mythique chaîne de CHANEL », constituaient des valeurs économiques individualisées protégées contre le parasitisme.

Elle a relevé la grande proximité visuelle entre les slingbacks CHANEL et les modèles Jonak :

« Hormis des différences de matière liées au positionnement luxe, l’impression visuelle d’ensemble entre les deux chaussures est très proche. »

Pour la sandale IVANA, la Cour a constaté que sa bride composée de chaîne et de cuir reprenait « un élément récurrent et distinctif de la Maison CHANEL ».

L’intention parasitaire a été confirmée par les réactions des internautes, dont certaines mentionnaient explicitement le lien perçu avec Chanel :

« Faute d’avoir les Chanel… j’ai craqué pour ce modèle » ou encore « So Chanel, vous ne trouvez pas ? »

En réparation, la Cour a condamné solidairement les sociétés Jonak à verser à CHANEL :

  • 150 000 € pour le préjudice économique,
  • 30 000 € pour le préjudice moral,
    ainsi qu’à supporter 40 000 € au titre des dépens et frais irrépétibles.

Elle a également ordonné :

  • l’interdiction de commercialiser les modèles DHAPOU, DHAPOP (dans leur version beige/noir) et IVANA,
  • le retrait et la destruction des stocks litigieux,
  • et l’interdiction d’utiliser l’image de CHANEL dans la communication de Jonak, sous astreinte.

IV. Un enseignement durable : le parasitisme comme exigence d’éthique dans les affaires

Cette décision illustre la portée du droit du parasitisme dans la protection, au-delà des titres de propriété intellectuelle, des codes identitaires et de l’investissement créatif et marketing des maisons de luxe.

Elle montre également l’importance, pour les titulaires de ces valeurs économiques, de documenter leur notoriété et leurs investissements : archives, catalogues, films, presse et sondages d’opinion ont été déterminants dans cette affaire.

Plus largement, le parasitisme rappelle que le droit n’est pas seulement un ensemble de règles techniques : il exprime une exigence d’éthique dans la vie des affaires, que l’on retrouve dans d’autres champs du droit contemporain – concurrence, loyauté contractuelle, protection des consommateurs ou encore régulation des technologies émergentes.

Il sanctionne la captation injustifiée du travail et de la réputation d’autrui et affirme le principe fondamental selon lequel le succès économique doit être le fruit d’un effort propre et loyal.

Conclusion

Un an après l’arrêt Chanel / Jonak, cette décision demeure un jalon jurisprudentiel essentiel : elle montre que le parasitisme n’est pas seulement un instrument de protection du patrimoine créatif des maisons de luxe, mais l’expression d’une exigence éthique dans la vie des affaires.

Elle rappelle que la loyauté et le respect de l’effort créatif sont des valeurs que le droit protège pour garantir une concurrence saine et préserver le prestige des créations iconiques.

Vincent FAUCHOUX
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