Le 18 juin 2025, le Tribunal judiciaire de Paris (3e chambre, 3e section) a rendu un jugement marquant en matière de protection des créations de joaillerie. La maison Fred Paris a obtenu la condamnation d’une créatrice pour contrefaçon de droits d’auteur, atteinte à un modèle communautaire, concurrence déloyale et parasitisme. Cette décision, qui mérite un retour analytique, illustre à la fois les forces et les limites de la protection offerte par le droit français et européen aux acteurs du luxe.
La société Fred Paris, célèbre maison française de joaillerie et d’horlogerie, est à l’origine des gammes Force 10 et Chance Infinie. Ces collections, déclinées en bracelets, bagues, colliers et boucles d’oreilles, associent design innovant et matériaux précieux. Fred Paris est titulaire du modèle communautaire n°000772819-0001, enregistré en 2007, représentant la boucle en forme de manille stylisée utilisée notamment pour ses bracelets Force 10.
Madame [P] [H], créatrice indépendante, commercialisait des bijoux sous l’enseigne « Mademoiselle [L] », à la fois sur son site internet et sur des marchés locaux. Malgré une mise en demeure adressée en 2019, Fred Paris a fait constater en 2023 par huissier la poursuite de la commercialisation de bijoux litigieux et une saisie douanière a permis la retenue de 23 modèles. Fred Paris a alors engagé une action judiciaire en contrefaçon et concurrence déloyale.
Fred Paris sollicitait notamment :
Mme [H] contestait l’originalité des modèles, invoquant la banalisation des designs et la présence de créations similaires sur le marché. Elle soutenait qu’il n’existait aucun risque de confusion entre ses bijoux vendus sur des marchés locaux et les créations de haute joaillerie de Fred Paris. Subsidiairement, elle demandait la réduction des montants réclamés, compte tenu de sa situation économique modeste.
Le Tribunal rappelle les dispositions des articles L.111-1 et L.112-2, 10° du Code de la propriété intellectuelle, selon lesquelles la protection d’une œuvre est acquise du seul fait de sa création et s’applique aux œuvres des arts appliqués.
Fred Paris justifiait de la titularité des droits patrimoniaux par une exploitation paisible et continue de ses bijoux Force 10 depuis 2008 (factures, catalogues, publications, publicité). Le Tribunal a reconnu l’originalité de ces créations, soulignant que :
La commercialisation des bijoux litigieux, reprenant ces éléments distinctifs, a été jugée constitutive d’une reproduction illicite en vertu de l’article L.122-4 CPI, peu important la bonne foi ou l’existence d’autres créations similaires sur le marché.
Le Tribunal rappelle le régime de protection prévu par le règlement (CE) n°6/2002, notamment :
Fred Paris justifiait de la validité du modèle communautaire par son certificat d’enregistrement et par la combinaison inédite d’une boucle en forme de manille stylisée et d’un câble tressé. Le Tribunal a considéré que les bijoux litigieux reproduisaient ces caractéristiques essentielles et produisaient sur l’utilisateur averti la même impression visuelle globale.
Les pièces produites par Mme [H] pour démontrer la banalisation du modèle (captures de sites internet, photographies) ont été jugées inopérantes car non datées.
Le Tribunal rappelle les principes issus des articles 1240 et 1241 du Code civil. La concurrence déloyale suppose un risque de confusion dans l’esprit du public, tandis que le parasitisme se caractérise par l’appropriation indue des efforts et investissements d’autrui.
Le Tribunal a retenu que :
Ces éléments ont suffi à caractériser la concurrence déloyale et le parasitisme.
Le Tribunal a fixé les dommages-intérêts en application des articles L.331-1-3 et L.521-7 CPI. Il a alloué à Fred Paris :
Il a également ordonné :
La demande de publication judiciaire a été rejetée, faute de démonstration d’un intérêt suffisant.
Cette décision confirme la capacité des maisons de joaillerie à obtenir la reconnaissance judiciaire de leurs droits d’auteur et modèles communautaires. Elle illustre également la possibilité d’engager la responsabilité pour concurrence déloyale et parasitisme lorsque des créations sont servilement reproduites.
Pour autant, le montant des dommages-intérêts alloués, 4 000 € au total, apparaît dérisoire au regard des enjeux économiques et de l’image de marque de Fred Paris. Cette indemnisation insuffisamment dissuasive questionne l’effectivité de la protection juridique dans un secteur où la contrefaçon est endémique.
Pour les acteurs du luxe, la lutte contre les copies reste un combat sans fin, comparable à celui d’Hercule contre l’Hydre de Lerne : chaque tête tranchée en voit surgir une autre. Seule une stratégie contentieuse globale, associée à des actions douanières et en ligne, peut permettre de limiter ce phénomène.