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Actualité
4/12/25

Protection par le droit d’auteur des œuvres de design : la CJUE précise l’originalité et la contrefaçon

Dans un arrêt particulièrement attendu rendu le 4 décembre 20251, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient clarifier la portée de la protection par le droit d’auteur des objets de design et des arts appliqués. Par les décisions Mio / Asplund et USM / konektra, la Cour répond à des interrogations récurrentes en pratique : comment doit être apprécié le critère d’originalité d’objets utilitaires soumis à des contraintes techniques et, surtout, selon quels critères doit être caractérisée une atteinte aux droits exclusifs de l’auteur dans le domaine du design ?

Ces réponses s’inscrivent dans la continuité de la jurisprudence Infopaq, Cofemel et Brompton Bicycle, tout en apportant des précisions décisives. La Cour met fin à toute tentation de reconstituer un seuil d’originalité spécifique aux arts appliqués et recentre l’analyse de la contrefaçon sur la reprise d’éléments créatifs identifiables, excluant explicitement le critère de la « même impression globale », propre au droit des dessins et modèles.

Table “Palais Royal” conçue par la société suédoise Asplund et le Système modulaire “USM Haller” conçu par la société suisse USM

L’objet utilitaire peut être une « œuvre » : aucun seuil d’originalité renforcé

Les litiges soumis à la Cour portaient, d’une part, sur des tables de salle à manger conçues par la société suédoise Asplund et commercialisées sous la dénomination « Palais Royal », et, d’autre part, sur le système modulaire « USM Haller » composé de tubes chromés et de panneaux métalliques colorés, fabriqué par la société suisse USM et largement diffusé depuis plusieurs décennies. Dans les deux cas, les auteurs invoquaient la protection par le droit d’auteur en tant qu’œuvres des arts appliqués. Les juridictions suédoise et allemande interrogeaient la CJUE sur l’étendue de la protection, mais, surtout, sur la manière d’apprécier l’originalité de tels objets.

La Cour commence par affirmer que la notion d’« œuvre » au sens de la directive 2001/29 est une notion autonome du droit de l’Union, qui doit s’appliquer uniformément à toutes les catégories de création. Pour être qualifié d’œuvre, un objet doit remplir deux conditions cumulatives : constituer une création intellectuelle propre à son auteur et être l’expression identifiable de cette création. Aucun critère d’originalité plus exigeant ne peut être imposé aux arts appliqués au motif que ces objets seraient déjà susceptibles d’être protégés par le droit des dessins et modèles. Ainsi, la protection par le droit d’auteur et la protection par le droit des dessins et modèles poursuivent des finalités différentes, reposent sur des critères distincts et peuvent se cumuler, mais uniquement dans les cas où l’objet en cause satisfait au critère d’originalité. Il ne peut exister, selon la Cour, ni hiérarchie ni rapport de principe entre les deux régimes, et il est interdit de reconstituer, au niveau national, un « seuil artistique » ou un « seuil d’originalité » plus élevé pour les arts appliqués.

En d’autres termes, une table, un meuble modulaire ou tout objet utilitaire peut, dès lors qu’il exprime des choix libres et créatifs, être considéré comme une œuvre de l’esprit. La seule présence de contraintes techniques n’exclut pas, par principe, la protection : encore faut-il que ces contraintes ne réduisent pas totalement la liberté de l’auteur et que l’objet manifeste, au-delà de sa fonction, un apport formel reflétant sa personnalité.

Une appréciation recentrée sur l’expression objective des choix créatifs

L’arrêt précise ensuite comment doivent être identifiés les « choix libres et créatifs » susceptibles de fonder la protection. La Cour insiste sur le fait que ces choix doivent être perceptibles dans l’objet lui-même. Il ne s’agit ni de protéger des idées, ni de se laisser guider par les intentions subjectives du créateur, mais bien d’apprécier le résultat formel tel qu’il est donné à voir. Si le juge peut tenir compte du processus créatif ou du discours du designer, ce ne peut être qu’à titre accessoire, à condition que ces éléments se traduisent objectivement dans l’apparence de l’objet.

La Cour apporte également une clarification importante : un choix peut ne pas être dicté par une contrainte technique, tout en ne manifestant pas pour autant la personnalité de l’auteur. Cela signifie qu’en design, l’absence de contrainte ne suffit pas à caractériser l’originalité. Encore faut-il que le choix, libre en apparence, contribue réellement à conférer à l’objet un aspect singulier, traduisant une empreinte personnelle. À l’inverse, des formes banales, ou empruntées à un vocabulaire existant, peuvent se conjuguer de manière originale, si leur combinaison révèle une liberté créative identifiable.

La Cour rejette enfin deux critères parfois invoqués en pratique : l’effet esthétique de l’objet et sa reconnaissance artistique (expositions muséales, prestige commercial, réception par les milieux spécialisés). Ces éléments peuvent éventuellement éclairer le contexte, mais ils sont extérieurs et postérieurs à la création et ne peuvent en aucun cas fonder l’originalité.

La contrefaçon d’un objet de design : reprise d’éléments créatifs identifiables et non « impression globale »

Sur le terrain de la violation des droits exclusifs, l’apport de l’arrêt est tout aussi structurant. La Cour rappelle que l’atteinte résulte de l’utilisation non autorisée d’une œuvre ou d’éléments qui en constituent l’expression originale. Il n’est pas nécessaire que l’intégralité de l’œuvre soit reproduite : la reprise d’un élément partiel peut suffire, dès lors que cet élément porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

L’examen de la contrefaçon doit donc se concentrer sur l’identification des éléments créatifs, puis sur leur reprise reconnaissable dans l’objet litigieux. La Cour écarte de manière catégorique le critère de la « même impression visuelle globale », réservé au droit des dessins et modèles. Ce critère, appliqué au droit d’auteur, risquerait de dissoudre la protection dans une appréciation vague d’ensemble, alors que l’analyse doit porter sur des éléments formels précis, reconnaissables et expressifs.

La Cour précise enfin que, dès lors qu’un objet est reconnu comme original, son degré d’originalité ne saurait en limiter la protection. De même, la possibilité théorique d’une création similaire indépendante ne justifie pas de priver un objet de la protection par le droit d’auteur. En revanche, si une création similaire indépendante est effectivement démontrée par le défendeur, il n’y aura pas d’atteinte, faute de reprise d’éléments créatifs.

Perspectives pratiques pour les acteurs du design

L’arrêt du 4 décembre 2025 constitue désormais une référence centrale pour l’évaluation et la défense des droits de propriété intellectuelle des designers, fabricants et diffuseurs d’objets utilitaires. Il invite les professionnels à documenter, le cas échéant, les choix formels qui confèrent à l’objet son caractère original, non pour démontrer des intentions artistiques, mais afin d’identifier clairement les éléments qui traduisent cette liberté créative dans la forme. Il offre également aux distributeurs et industriels un cadre d’analyse précis pour apprécier le risque d’appropriation d’éléments créatifs reconnaissables dans des gammes de produits inspirés de tendances préexistantes.

Au-delà des considérations techniques, l’arrêt consacre une exigence simple mais structurante : le droit d’auteur protège ce que l’objet montre, et non ce que l’auteur dit. La créativité se lit dans la forme ; c’est dans cette forme que le droit puise sa légitimité protectrice.

Vincent FAUCHOUX

1 CJUE, 1re chambre, 4 décembre 2025, aff. jointes C-580/23 et C-795/23, ECLI:EU:C:2025:941

Image par Canva
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