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Actualité
23/5/24

Promulgation de la loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique dite loi SREN, mais sans le délit d’outrage en ligne

La loi du 10 avril 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique dite loi SREN a été publiée hier au Journal officiel, après avoir été validée dans sa majeure partie quelques jours plus tôt par le Conseil constitutionnel, lequel a néanmoins censuré certaines dispositions de cette loi et singulièrement le délit d’outrage en ligne.

Dans sa décision n°2024-866 DC du 17 mai 2024, le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi par plus de soixante députés, s’est prononcé sur la conformité à la Constitution de la loi SREN. 

L’article 19 de la loi SREN réprimant le délit d’outrage en ligne (1) ainsi que quatre autres dispositions considérées comme dépourvues de lien direct avec le texte (2) sont jugés contraires à la Constitution. À l’exception de ces articles, le Conseil constitutionnel admet la conformité à la Constitution de l’ensemble des autres dispositions de la loi déférée (3).

1. La répression de l’outrage en ligne et la soumission de ce délit à une amende forfaitaire : une atteinte non nécessaire, peu adaptée et disproportionnée à la liberté d’expression et de communication selon le Conseil constitutionnel

L’article 19 de la loi SREN insérait dans le Code pénal les articles 222-33-1-2 et 222-33-1-3 en vue de réprimer le délit d’outrage en ligne d’une amende forfaitaire. Il était prévu que la diffusion en ligne de tout contenu qui porte atteinte à la dignité d’une personne, qui présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, ou qui crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, soit punie d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.

De nombreuses contestations s’étaient élevées au sujet de cette disposition aux motifs (i) qu’elle porterait une atteinte non nécessaire à la liberté d'expression et de communication, car les faits incriminés peuvent être réprimés en application de qualifications pénales existantes, et (ii) qu’elle serait disproportionnée par rapport à l'objectif visé par le législateur, puisque le champ d'application de ce délit ne serait pas suffisamment délimité.

Dans sa décision du 17 mai 2024, le Conseil constitutionnel a accueilli ces griefs.

Après avoir relevé que le législateur a souhaité concilier la liberté d’expression et de communication avec la protection des droits des tiers et l’ordre public en adoptant l’article 222-33-1-2 du Code pénal, le Conseil constitutionnel rappelle que toute atteinte portée à cette liberté doit être nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi1.

Or, d’une part, plusieurs infractions pénales prévues par le droit français permettent déjà de réprimer les abus commis dans l’exercice de la liberté d’expression et de communication, y compris lorsque que ces abus sont commis via un service de communication au public en ligne, et notamment :

  • les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui répriment les délits  de diffamation et d’injure publiques ;
  • l’article 222-13 du Code pénal, qui réprime les violences, mêmes psychologiques, ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ;
  • l’article 222-33-1-1 du Code pénal qui prohibe le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui « portent atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant » ou qui « créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » ;
  • l’article 222-16 du Code pénal concernant les « envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques ».

Certes, le législateur avait prévu que le délit d’outrage en ligne ne s’appliquerait pas dans les cas où seraient en cause des faits constitutifs de menaces, d’atteintes sexuelles, de harcèlement moral et d’injures à caractère discriminatoire. Pour autant, les comportements englobés dans le champ d’application de ce nouveau délit étaient susceptibles d‘être couverts par les infractions susmentionnées2.

En conséquence, le Conseil constitutionnel a estimé que l’article 19 de la loi SREN portait ainsi une atteinte qui n’est pas nécessaire à la liberté d’expression et de communication.

D’autre part, le délit d’outrage en ligne incriminait la seule diffusion de contenus en ligne, c'est-à-dire par le biais d’un « service de plateforme en ligne, d’un service de réseau social en ligne ou d’un service de plateforme de partage de vidéos », sans qu’il soit nécessaire de caractériser le comportement outrageant par des faits matériels imputables à une personne déterminée.

Plus encore, en ne nécessitant, pour être constitué, que la caractérisation d’un contenu « port[ant] atteinte à la dignité de la personne, présent[ant] à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant ou crée[ant] à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante », les nouvelles dispositions faisaient dépendre la caractérisation de l’infraction de l’appréciation d’éléments subjectifs, liées à la perception de la victime3.

En conséquence, le Conseil constitutionnel a considéré que la conciliation opérée par la loi SREN entre la liberté d’expression et de communication et la protection des droits des tiers n’était ni adaptée, ni proportionnée à l’objectif poursuivi.

L’article 19 de la loi SREN qui institue le délit d’outrage en ligne est donc déclaré contraire à la Constitution.

2. La contrariété à la Constitution de quatre autres dispositions de la SREN considérées comme étant des « cavaliers législatifs »

Le Conseil constitutionnel a également admis la contrariété à la Constitution de quatre dispositions de la loi SREN, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution car ne présentant pas de lien avec le projet de loi. Il s’agit de :

  • l’article 10 de la loi qui prévoyait une généralisation de l’identité numérique pour les Français4 ;
  • l’article 11, qui ambitionnait de mettre en place un service agrégeant l’accès à l’ensemble des services publics en vue de simplifier les démarches administratives5 ;
  • l’article 18, qui prévoyait la mise en place, à titre expérimental, de dispositifs de médiation de certains litiges de communication en ligne6 ;
  • l’article 58 de la loi, qui autorisait la saisine du comité secret statistique lorsque l’administration envisage de refuser de faire droit à certaines demandes de consultation de documents administratifs7.

3. Les autres dispositions contestées de la loi SREN sont déclarées conformes à la Constitution, car nécessaires, adaptées et proportionnés aux droits et libertés fondamentaux

Le Conseil constitutionnel a enfin admis la conformité à la Constitution de plusieurs autres dispositions de la loi SREN qui étaient contestées devant le Conseil constitutionnel.

Il en est notamment ainsi de l’article 2 de la SREN, qui permet à l’ARCOM d’ordonner des mesures de blocage ou de déréférencement de tout service de communication au public en ligne ou de tout service de plateforme de partage de vidéos offrant un accès à des contenus pornographiques à des mineurs.

Le Conseil constitutionnel a considéré que la circonstance que la durée de ces mesures ne peut excéder deux ans et que toute personne intéressée a la possibilité d’en demander l’annulation au président du tribunal administratif dans les cinq jours à compter de leur prononcé, sont des garanties suffisantes qui confèrent à l’atteinte portée à la liberté de communication et d’information un caractère proportionné à l’objectif de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant poursuivi par le législateur8.

En outre, les articles 4 et 5 de la loi SREN, instituant une voie de recours contre l’injonction administrative adressée à l’éditeur d’un service de communication au public en ligne ou à un fournisseur de services d’hébergement de retirer un contenu à caractère pédopornographique ou représentant des actes de torture ou de barbarie, opèrent une conciliation équilibrée entre le droit à la liberté d’expression et de communication et la sauvegarde de l’ordre public9.

Enfin, l’article 42 de la loi SREN élargit la palette de prérogatives dont disposent les services de l’État pour mettre en œuvre leur collecte automatisée de données conformément à l’article 36 de la loi du 25 octobre 2021. Si, en 2021, cette collecte ne concernait que les opérateurs de plateforme en ligne, elle pourra désormais être mise en œuvre à l’égard de leurs partenaires et de leurs sous-traitants ainsi qu’à l’encontre des fournisseurs de systèmes d’exploitation et des fournisseurs de systèmes d’intelligence artificielle. La limitation des finalités encadrant la collecte, l’exigence selon laquelle les méthodes de collecte ne peuvent porter que sur des données publiquement accessibles, l’interdiction d’utiliser un système de reconnaissance faciale des contenus et la destruction des données collectées dans les neuf mois de leur collecte constituent, selon le Conseil constitutionnel, des garanties conférant à l’atteinte portée au respect du droit au respect de la vie privée un caractère proportionné10.

Aurélie BRÉGOU / Mathilde FABIANO

1 Point 72

2 Points 76 et 77

3 Point 78.

4 Point 53.

5 Point 112

6 Point 114

7 Point 116

8 Points 23 à 26

9 Points 37, 47 et 52

10 Points 110 à 104

Image par Canva
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