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Actualité
17/9/25

La justice californienne suspend l’accord à 1,5 milliard de dollars conclu entre Anthropic et les auteurs

Un litige atypique, né de circonstances factuelles exceptionnelles et propre au contexte judiciaire américain

Le 5 septembre 2025, la société d’intelligence artificielle Anthropic a annoncé avoir conclu un accord transactionnel d’un montant spectaculaire de 1,5 milliard de dollars avec un groupe d’auteurs américains. Cet accord, destiné à mettre fin à une action collective intentée devant la juridiction fédérale californienne, visait à indemniser les titulaires de droits dont les œuvres avaient été utilisées sans autorisation pour l’entraînement des modèles de l’entreprise. Trois auteurs sont à l’origine de cette action : Andrea Bartz, Charles Graeber et Kirk Wallace Johnson, qui ont saisi le United States District Court for the Northern District of California au nom d’une classe rassemblant des milliers d’auteurs et d’éditeurs.

Le 8 septembre 2025, lors de l’audience de pré-approbation, le juge William Alsup a toutefois décidé de suspendre l’accord. Il a estimé que plusieurs points essentiels restaient insuffisamment précisés, notamment la liste exhaustive des œuvres concernées (la Works List), les modalités de notification aux ayants droit, la manière de gérer les co-titularités de droits ainsi que le processus de répartition des sommes entre auteurs et éditeurs. Une nouvelle audience a été fixée au 25 septembre, afin de permettre aux parties d’apporter ces clarifications.

👉 Lire la décision du juge Alsup (8 septembre 2025).

L’ampleur de l’affaire tient d’abord aux faits. Les demandeurs reprochent à Anthropic d’avoir téléchargé plus de 7 millions de copies intégrales de livres piratés, en provenance de bases de données comme LibGen ou PiLiMi. Ces fichiers auraient ensuite été stockés et intégrés dans une bibliothèque interne, utilisée pour entraîner les modèles de l’entreprise. Après élimination des doublons et application de critères stricts (numéro ISBN ou ASIN, enregistrement auprès du Copyright Office avant ou peu après la publication), le nombre d’œuvres effectivement éligibles au règlement a été réduit à environ 465 000 à 500 000 titres. Le montant proposé représentait donc une indemnisation moyenne d’environ 3 000 dollars par ouvrage, à répartir entre les ayants droit légaux, après déduction des frais de justice et des honoraires d’avocats.

Le litige est également singulier par son contexte procédural, spécifique au droit américain. La question du fair use, pierre angulaire du Copyright Act, occupe une place centrale. Le juge Alsup a rappelé que l’usage de copies légalement acquises pouvait, sous certaines conditions, relever du fair use, en particulier si cet usage est considéré comme « transformateur ». En revanche, l’utilisation et la conservation de copies manifestement piratées échappent à toute justification au titre de cette doctrine. La procédure collective engagée est celle de la class action fédérale, mécanisme qui permet de regrouper un très grand nombre de demandeurs dans un même recours et qui impose au juge un contrôle strict du règlement envisagé. Enfin, le droit américain prévoit des dommages statutaires particulièrement élevés – jusqu’à 150 000 USD par œuvre en cas de violation intentionnelle – qui, appliqués à des centaines de milliers d’ouvrages, auraient pu exposer Anthropic à un risque financier colossal. C’est dans ce contexte qu’un règlement transactionnel d’un montant aussi élevé a été proposé.

Pour un juriste français ou européen, cette affaire présente un caractère profondément atypique. Les exceptions au droit d’auteur prévues par le droit de l’Union sont énumérées de manière limitative et ne permettent pas d’approche générale comparable au fair use. La logique indemnitaire est également différente : en France, les juridictions allouent des dommages-intérêts proportionnés au préjudice réellement subi, sans mécanisme de dommages punitifs ou statutaires. Quant aux actions de groupe, bien qu’elles aient été introduites dans notre droit, leur champ d’application demeure restreint et leurs effets financiers restent sans commune mesure avec les class actions américaines.

Il serait donc trompeur d’y voir un précédent transposable ou un signal généralisable à l’échelle mondiale. L’affaire Anthropic reflète un contentieux étroitement lié à des circonstances factuelles exceptionnelles : l’accès massif à des millions de copies piratées, et au fonctionnement particulier du système judiciaire américain (class action, fair use, dommages statutaires).

Elle illustre néanmoins une tendance de fond : l’essor des contentieux liés à l’utilisation d’œuvres protégées par les systèmes d’intelligence artificielle. Ce mouvement, déjà perceptible aux États-Unis, ne manquera pas d’interpeller également les juridictions européennes, dans le cadre du droit d’auteur et des nouvelles réglementations comme l’IA Act.

Pour les entreprises, l’enseignement est clair : anticiper les risques juridiques liés aux données et aux contenus utilisés pour entraîner ou déployer des solutions d’IA est devenu une nécessité stratégique.

Vincent FAUCHOUX
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