


Par un communiqué en date du 17 décembre 2025, plusieurs organisations représentatives majeures des titulaires de droits d’auteur et de droits voisins, parmi lesquelles notamment l’ADAGP, la SACEM, la SACD et le SNE, aux côtés de nombreux acteurs des secteurs de l’audiovisuel, du cinéma, de la presse et du livre, ont salué le dépôt, sur le Bureau du Sénat, d’une proposition de loi relative à l’instauration d’une présomption d’exploitation des contenus culturels par les fournisseurs de systèmes d’intelligence artificielle.
Présentée comme un outil d’amélioration de la transparence pour une intelligence artificielle respectueuse de la création, cette initiative parlementaire entend répondre à l’opacité persistante des pratiques d’entraînement et d’exploitation des systèmes d’IA générative, dans un contexte où ces derniers continuent de recourir massivement à des contenus culturels protégés.
Le communiqué souligne que cette proposition de loi s’inscrit « dans la droite ligne de l’impulsion donnée par la ministre de la Culture, Rachida Dati, depuis son arrivée rue de Valois en matière de défense du droit d’auteur et des droits voisins » . Elle vient également traduire, sur le plan normatif, « l’une des principales recommandations de la mission confiée par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique à la professeure Alexandra Bensamoun » portant sur la rémunération des contenus culturels utilisés par les systèmes d’intelligence artificielle, dans son volet juridique.
Selon les signataires, cette initiative s’inscrit dans un contexte où, malgré l’existence d’un cadre harmonisé au niveau européen, les fournisseurs de systèmes d’IA continuent de « moissonner des données numériques, dont des contenus protégés, le plus souvent sans autorisation ni rémunération de leurs détenteurs ». Cette situation ferait peser une menace directe sur la création et sur l’ensemble de sa chaîne de valeur.
Le cœur du dispositif envisagé repose sur la création d’une présomption légale d’exploitation des contenus protégés par les systèmes d’intelligence artificielle. Le communiqué précise que cette présomption constitue un outil destiné à rendre effective la mise en œuvre du droit d’auteur et des droits voisins face à l’opacité pratiquée par ces systèmes.
Les titulaires de droits sont aujourd’hui confrontés à un risque élevé de contrefaçon en amont, au stade de l’input, lors de l’ingestion massive de données numériques, mais également à un risque de substitution en aval, au stade de l’output, lorsque les contenus générés par l’IA se substituent aux œuvres et prestations humaines dans les usages économiques et culturels.
Dans ce contexte, la présomption envisagée vise à alléger la charge de la preuve pesant sur les ayants droit, en leur permettant de faire valoir des « faits et indices rendant vraisemblable l’exploitation d’un contenu protégé », sans avoir à démontrer de manière exhaustive l’ensemble des processus techniques mis en œuvre par les systèmes d’IA.
Les signataires du communiqué indiquent explicitement que l’objectif de la proposition de loi est de « rééquilibrer le rapport de force entre secteurs créatifs et acteurs techs » . Le renforcement de l’arsenal législatif est présenté comme un moyen de contribuer au respect effectif du règlement européen sur l’intelligence artificielle, en facilitant la construction d’un marché de licences, fondé sur des accords de gestion individuelle ou de gestion collective volontaire .
L’initiative entend ainsi répondre à une situation qualifiée de « figée », qui fragilise non seulement les secteurs de la création, mais également, à terme, « la performance même des modèles d’IA », en raison de l’insécurité juridique entourant l’accès aux contenus culturels .
La proposition de loi revendique enfin une portée transversale, visant « tous les modèles, qu’ils soient européens, chinois ou américains », et traduisant une volonté politique affirmée de ne pas différencier le niveau d’exigence selon l’origine des technologies concernées .
Si la création d’une présomption légale d’exploitation des contenus culturels par les fournisseurs de systèmes d’intelligence artificielle constitue un outil puissant d’aménagement de la preuve, elle soulève néanmoins des interrogations constitutionnelles substantielles.
En effet, telle qu’elle est formulée, cette présomption pourrait être analysée comme s’apparentant, sinon par son principe, du moins par ses effets, à une présomption de faute ou de comportement illicite, pesant sur les fournisseurs d’IA indépendamment de la démonstration préalable d’indices précis, graves et concordants d’une exploitation effective de contenus protégés. Or, si la jurisprudence constitutionnelle admet le recours à des présomptions légales, c’est à la condition qu’elles soient réfragables, proportionnées à l’objectif poursuivi et qu’elles ne portent pas une atteinte excessive aux droits de la défense, à la présomption d’innocence et à la liberté d’entreprendre.
La question se pose ainsi de savoir si un tel mécanisme, appliqué à des systèmes d’IA caractérisés par une complexité technique et organisationnelle élevée, ne ferait pas peser sur les opérateurs une charge probatoire particulièrement lourde, voire difficilement surmontable en pratique. Dans une telle hypothèse, la présomption d’exploitation pourrait dépasser le simple aménagement des règles de preuve pour se rapprocher d’une imputation abstraite de responsabilité, susceptible d’être censurée au regard des exigences constitutionnelles.
Dès lors, il ne peut être exclu que cette proposition de loi, si elle venait à être adoptée en l’état, fasse l’objet d’un contrôle de constitutionnalité approfondi, que ce soit a priori ou par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité. L’équilibre entre la protection de la création, l’effectivité du droit d’auteur et le respect des libertés économiques et procédurales sera, à cet égard, déterminant.
Dans ce contexte, l’avenir normatif de cette proposition apparaît, à tout le moins, incertain, tant sa pérennité dépendra de sa capacité à résister à l’examen des principes constitutionnels gouvernant le droit de la preuve et la responsabilité.

