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12/5/25

IA et RGPD : Les défis juridiques de Meta en Europe

L'horizon s'obscurci pour Meta, maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp aux Etats-Unis où le procès concernant le rachat par Meta d'Instagram et de Whatsapp devant l'autorité de la concurrence américaine (FTC) s'est ouvert le 14 avril. Meta est également au centre de multiples challenges juridiques en Europe. Cet article propose une analyse approfondie sur les nouvelles fonctionnalités de Meta et leur conformité au Règlement général sur la protection des données (RGPD) liées à l'implémentation de nouvelles d'intelligence artificielle qui fait écho à deux affaires européennes : la plainte collective de médias français pour pratiques commerciales déloyales, et l'amende de 200 millions d'euros infligée pour violation du Digital Markets Act (DMA). Ces deux affaires ont également pour dénominateur commun des potentielles violations du RGPD par Meta. Ces confrontations illustrent les tensions croissantes entre les modèles d'affaires des géants technologiques et le cadre réglementaire européen, particulièrement soucieux de la protection des données personnelles et de l'équilibre concurrentiel.

I. Les enjeux RGPD liés à l'implémentation de Meta AI en Europe

Déploiement et contexte

Depuis mars 2025, Meta a déployé son assistant conversationnel "Meta AI" dans 41 pays européens, dont la France. Si certaines fonctionnalités ont été restreintes pour tenter de se conformer aux exigences européennes, plusieurs aspects de cette implémentation soulèvent des interrogations sérieuses quant à la conformité avec le RGPD, pierre angulaire de la protection des données personnelles en Europe.

Problématiques liées au consentement et à l'opposition

L'un des premiers points de friction concerne le consentement des utilisateurs, élément central du RGPD. Sur WhatsApp, les utilisateurs ne disposent pas d'option pour désactiver complètement Meta AI – ils peuvent uniquement masquer ou archiver la conversation, ou utiliser des commandes spécifiques pour réinitialiser l'historique des échanges. Cette configuration semble contrevenir aux principes fondamentaux établis par les articles 4 et 7 du RGPD, selon lesquels le consentement doit être libre, spécifique, éclairé et univoque.

Sur Instagram et Facebook, bien qu'une option de retrait du consentement existe, le processus se révèle complexe et hétérogène selon les plateformes. Cette fragmentation procédurale complique l'exercice effectif du droit d'opposition garanti par l'article 21 du RGPD. En outre, le mécanisme de retrait n'étant pas global, l'utilisateur doit effectuer plusieurs démarches pour exercer pleinement ses droits sur l'ensemble des services Meta, ce qui constitue un obstacle procédural significatif.

Déficit de transparence informationnelle

La transparence concernant l'utilisation des données échangées avec Meta AI apparaît insuffisante au regard des obligations légales. Les informations fournies aux utilisateurs sont souvent parcellaires et imprécises. Or, les articles 12 et 13 du RGPD imposent aux responsables de traitement un devoir de transparence substantiel envers les personnes concernées. Cette obligation semble insuffisamment respectée dans le cadre du déploiement de Meta AI, créant une zone d'incertitude juridique quant au traitement des données personnelles.

Position des autorités de protection des données

Plusieurs autorités européennes de protection des données, notamment l'Autorité néerlandaise (AP), ont manifesté leurs inquiétudes concernant l'utilisation des données des utilisateurs pour l'entraînement des modèles d'IA de Meta.

La CNIL indique aussi que :

« Les autorités européennes collaborent actuellement pour évaluer la conformité des traitements de données personnelles envisagés par Meta pour ses services d’IA. Elles échangent notamment sur la légalité de ces pratiques, le caractère effectif du droit d’opposition ainsi que la compatibilité entre les finalités d’origine des traitements et cette nouvelle utilisation des données. ».

Ces organismes remettent particulièrement en question la légalité du modèle d'opt-out proposé par l'entreprise, soulignant que cette approche pourrait compromettre le contrôle effectif des utilisateurs sur leurs données personnelles.

Le mécanisme déployé par Meta prévoit que, sans opposition explicite des utilisateurs avant le 27 mai 2025, l'entreprise se considérera autorisée à utiliser automatiquement leurs données publiques pour entraîner Meta AI. Cette démarche inversant la logique du consentement préalable pourrait constituer une violation des principes fondamentaux du RGPD.

II. L'action collective des médias français pour pratiques commerciales déloyales

Genèse et fondements de la plainte

En avril 2025, un consortium d'environ 200 médias français, comprenant des acteurs majeurs comme TF1, RMC-BFM, France Télévisions, Radio France, Le Figaro et Ouest France, a déposé une plainte contre Meta devant le tribunal des activités économiques de Paris. Cette action collective d'une ampleur sans précédent allègue des pratiques commerciales déloyales de la part du géant technologique.

Les plaignants reprochent principalement à Meta d'avoir collecté illégalement des données personnelles dans le but de proposer des publicités ultra-ciblées1, en violation des dispositions du RGPD. Cette collecte aurait permis à l'entreprise de capter une part disproportionnée des investissements publicitaires numériques, au détriment des médias traditionnels qui constituent le socle du pluralisme informationnel en France.

Selon les éléments avancés par les avocats des plaignants, Meta et Google représentent ensemble 75% du marché publicitaire en ligne et captent 90% de sa croissance. Pour Meta spécifiquement, la publicité constitue 98% de ses revenus, illustrant l'enjeu économique considérable de ces pratiques contestées.

Les médias français affirment avoir respecté scrupuleusement les dispositions du RGPD dès son entrée en vigueur en 2018, entraînant mécaniquement une réduction de leurs capacités de ciblage publicitaire et, par conséquent, une diminution substantielle de leurs revenus. En parallèle, ils allèguent que Meta aurait poursuivi l'exploitation illicite de données personnelles, créant ainsi une distorsion concurrentielle préjudiciable au secteur médiatique français.

Implications juridiques et perspectives

Les conséquences juridiques potentielles de cette action sont considérables. En cas de décision favorable aux plaignants, Meta pourrait être contraint de verser des indemnités substantielles aux éditeurs de presse et de modifier fondamentalement ses pratiques commerciales pour se conformer aux exigences légales en matière de rémunération des contenus.

L'ampleur des dommages-intérêts pourrait atteindre plusieurs centaines de millions d'euros, comme le suggère une affaire similaire en Espagne où 80 médias réclament 551 millions d'euros – le jugement espagnol étant attendu pour octobre 2025. Une décision favorable aux médias français pourrait créer un précédent juridique significatif, susceptible d'encourager d'autres actions similaires à travers l'Union européenne, exerçant ainsi une pression accrue sur Meta pour réformer ses pratiques publicitaires.

Cette affaire soulève également la question cruciale du pluralisme médiatique face à la domination économique des plateformes numériques, un sujet qui préoccupe de plus en plus les régulateurs européens dans leur mission de préservation d'un écosystème informationnel diversifié.

III. L'amende pour violation du Digital Markets Act

Contexte réglementaire et sanction

En avril 2025, la Commission européenne a imposé à Meta une amende de 200 millions d'euros pour violation du Digital Markets Act (DMA), entré en vigueur en 2023. Le DMA, nouveau pilier de la régulation numérique européenne, impose aux "contrôleurs d'accès" (gatekeepers) – dont Meta fait partie – des obligations spécifiques visant à promouvoir la concurrence loyale et à protéger les droits des utilisateurs dans l'écosystème numérique.

Cette sanction pécuniaire vise spécifiquement le modèle "payer ou consentir" mis en place par Meta, qui contraint les utilisateurs à choisir entre deux options : soit souscrire à un abonnement payant (variant de 9,99 à 20,99 euros mensuels) pour éviter le ciblage publicitaire, soit accepter la collecte et l'exploitation de leurs données personnelles à des fins publicitaires. Après examen approfondi, la Commission européenne a conclu en juillet 2024 que ce modèle constituait une infraction aux dispositions du DMA, en ce qu'il ne garantissait pas un consentement véritablement libre et éclairé.

Analyse juridique détaillée

L'analyse juridique de cette affaire repose sur plusieurs fondements complémentaires :

1. La problématique du consentement forcé

Le modèle "payer ou consentir" est considéré par les autorités européennes comme intrinsèquement coercitif. En imposant un coût financier significatif aux utilisateurs refusant le ciblage publicitaire, Meta crée une pression économique qui compromet le caractère libre du consentement, contrevenant ainsi tant aux exigences du RGPD qu'à celles du DMA, particulièrement son article 5(2) qui interdit aux gatekeepers d'imposer des conditions restrictives pour l'accès à leurs services.

La Commission a notamment critiqué la présentation trompeuse de ce système, Meta qualifiant son service de "gratuit" alors qu'il repose en réalité sur une monétisation intensive des données personnelles des utilisateurs, créant ainsi une distorsion dans la perception de la transaction économique sous-jacente.

2. L'abus de position dominante

En liant l'accès à ses plateformes largement adoptées (Facebook, Instagram) à l'acceptation de pratiques publicitaires intrusives, Meta a exploité sa position privilégiée de gatekeeper. Cette pratique contrevient à l'article 6 du DMA, qui interdit explicitement l'utilisation des données des utilisateurs pour renforcer artificiellement la position concurrentielle des entreprises dominantes.

3. Le régime de sanctions applicable

Le DMA établit un cadre de sanctions dissuasif, prévoyant des amendes pouvant atteindre 10% du chiffre d'affaires mondial (article 30), ce qui représenterait environ 13 milliards de dollars pour Meta sur la base de ses résultats financiers de 2023. Dans ce contexte, l'amende de 200 millions d'euros, bien que substantielle en valeur absolue, demeure relativement modérée en proportion des capacités financières de l'entreprise et du plafond légal applicable, suggérant une approche graduée de la part de la Commission européenne.

Perspectives d'adaptation et évolutions possibles

Pour Meta, les implications de cette décision dépassent largement le cadre de la sanction financière immédiate. L'entreprise se trouve confrontée à la nécessité d'une adaptation structurelle profonde aux exigences européennes, qui pourrait inclure :

  • Le développement de mécanismes de consentement plus transparents et véritablement respectueux de l'autonomie décisionnelle des utilisateurs
  • Une réduction significative de sa dépendance aux données personnelles pour ses activités publicitaires
  • Une coopération accrue avec les régulateurs européens dans une logique de conformité préventive

Ces adaptations pourraient avoir des répercussions significatives sur le modèle économique de Meta, dont les revenus dépendent à 98% de la publicité ciblée. À moyen terme, l'entreprise pourrait être contrainte d'explorer des modèles économiques alternatifs, comme des formules d'abonnement sans publicité économiquement viables, ou de renforcer stratégiquement ses investissements dans des juridictions moins restrictives sur le plan réglementaire.

Vers un changement de la politique de Meta en Europe 

Les trois contentieux analysés illustrent la confrontation croissante entre les pratiques commerciales des géants technologiques américains et le cadre réglementaire européen, particulièrement ambitieux en matière de protection des données personnelles et d'équilibre concurrentiel. Pour Meta, ces défis juridiques ne représentent pas simplement des obstacles ponctuels, mais signalent la nécessité d'une refonte profonde de certains aspects de son modèle d'affaires pour assurer sa pérennité sur le marché européen.

Vincent FAUCHOUX / Benjamin KAHN
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