Par un arrêt du 31 janvier 2025 (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 2), la juridiction spécialisée en propriété intellectuelle s’est prononcée dans un litige emblématique opposant la maison de joaillerie italienne Bulgari à la société monégasque APM. L’affaire portait sur la commercialisation, par cette dernière, de bijoux serpentiformes jugés fautivement inspirés de la célèbre collection Serpenti de Bulgari, tant au regard du droit d’auteur qu’au regard du parasitisme.
La Cour a rappelé que les œuvres de joaillerie, en tant qu’œuvres des arts appliqués, peuvent être protégées par le droit d’auteur dès lors qu’elles traduisent un parti pris esthétique et l’empreinte de la personnalité de leur auteur (articles L.111-1 et L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle).
Elle a ainsi reconnu l’originalité des créations de la collection Serpenti, en retenant que la tête de serpent — fine, allongée, légèrement bombée, aux yeux représentés par des pierres précieuses taillées en goutte d’eau, ornée d’écailles enchevêtrées dans une structure géométrique — traduisait un véritable parti pris créatif. L’ensemble, pensé pour s’enrouler autour du doigt, du poignet ou de l’oreille, conférait à l’objet une expressivité forte et une identité visuelle immédiatement reconnaissable. Ces éléments combinés ont suffi à caractériser l’originalité requise pour bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur.
Il est heureux que la Cour ait clairement reconnu la dimension protégeable de ces bijoux iconiques, dans un secteur où la ligne de crête entre création artistique et ornementation stylisée reste souvent l’objet de débats.
Malgré la reconnaissance de l’originalité des bijoux Serpenti, la Cour d’appel n’a pas retenu l’existence d’une contrefaçon. Cette appréciation repose sur une analyse comparée des éléments caractéristiques des créations de Bulgari et des bijoux litigieux commercialisés par APM.
Conformément à la jurisprudence constante, la contrefaçon suppose la reprise, dans une combinaison identique ou équivalente, des éléments qui traduisent l’originalité de l’œuvre protégée. Or, en l’espèce, la Cour a relevé plusieurs divergences significatives dans la forme des bijoux APM : une tête de serpent à la géométrie distincte, des yeux de forme différente, des écailles stylisées autrement, des proportions et une articulation générale qui ne reproduisaient pas, même partiellement, la physionomie particulière des bijoux revendiqués.
La Cour constate également que les éléments caractéristiques identifiés dans les bijoux Serpenti — notamment la combinaison spécifique des volumes, des tailles de pierres, de l’emplacement des yeux et des formes hexagonales — ne se retrouvaient pas dans une composition comparable dans les bijoux APM. En conséquence, elle juge que les œuvres de Bulgari n’ont pas été reproduites dans leur agencement original et que la contrefaçon, au sens de l’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle, n’est pas caractérisée.
La Cour d’appel retient en revanche l’existence d’un comportement parasitaire sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. Elle constate que la collection Serpenti bénéficie d’une valeur économique individualisée, acquise à la fois par la notoriété publique de la marque Bulgari et par d’importants investissements marketing (supérieurs à 3,7 millions d’euros entre 2017 et 2023).
La stratégie de commercialisation d’APM, combinant inspiration diffuse, design proche et large diffusion de modèles évoquant la collection Serpenti, a été jugée fautive. En tirant profit de l’univers stylistique, de l’image de marque et des efforts promotionnels d’un autre acteur du marché, la société APM a tenté de se positionner dans son sillage sans assumer les risques ni les coûts associés à une création autonome.
Il est heureux que la jurisprudence applique la notion de parasitisme dans ces conditions, sans exiger imitation ni reproduction. Une simple évocation peut suffire à caractériser un comportement fautif, dès lors qu’elle vise à capter à son profit la valeur économique construite par un autre opérateur. À une époque où l’éthique dans la vie des affaires prend une importance croissante, il est légitime qu’elle trouve également à s’exprimer dans les principes de loyauté entre acteurs du marché.
La Cour a ordonné l’interdiction de commercialisation de l’ensemble des modèles concernés et condamné la société APM à verser 130 000 euros de dommages-intérêts.
Cette affaire illustre une difficulté bien connue sur le marché de la joaillerie et plus largement dans l’univers du luxe : protéger les signes distinctifs, motifs iconiques et codes esthétiques contre un phénomène diffus d’appropriation commerciale par d’autres opérateurs du marché.
Les figures animales stylisées — serpent, panthère, papillon — sont régulièrement revendiquées par les grandes maisons, non pour leur thème en soi, mais pour leur traitement visuel, leur construction esthétique et leur caractère immédiatement associé à une marque. La panthère de Cartier, exploitée de manière continue depuis plus d’un siècle, ou le papillon de Van Cleef & Arpels, décliné avec constance depuis les années 1950, en sont des illustrations éclatantes.
Or, la prolifération d’offres concurrentes jouant sur des codes visuels proches, sans tomber nécessairement sous le coup de la contrefaçon, contribue à brouiller les repères du public et à affaiblir la valeur symbolique des créations originales. Cette banalisation apparente n’est souvent que le résultat d’une longue traîne de comportements parasitaires non sanctionnés.
Dans ce contexte, la reconnaissance judiciaire du parasitisme comme outil de protection s’avère essentielle. Elle permet aux opérateurs économiques de défendre leurs investissements, leur identité créative et leur positionnement différenciant sur le marché, même en dehors des cadres stricts de la propriété intellectuelle classique.