


Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a rendu public, le 15 décembre 2025, un rapport de mission consacré à une question centrale et encore largement inexplorée : la détermination de la loi applicable, au regard des règles de droit international privé, aux modèles d’intelligence artificielle générative commercialisés dans l’Union européenne.
Présidé par Tristan Azzi et rapporté par Yves El Hage, ce rapport s’inscrit dans un contexte de fortes tensions juridiques liées à l’entraînement des modèles d’IA sur des œuvres protégées et à la diffusion transfrontière de contenus générés, dans un environnement marqué par la diversité des législations nationales applicables.
Le rapport identifie clairement que la principale difficulté en droit international privé ne réside pas dans l’output des systèmes d’IA, mais dans la phase d’input, c’est-à-dire la reproduction d’œuvres et de contenus protégés aux fins d’entraînement des modèles.
Ces opérations présentent un caractère structurellement transnational : les données transitent par des infrastructures multiples, réparties sur plusieurs États, tandis que les modèles sont ensuite exploités auprès d’utilisateurs situés dans d’autres pays encore.
Dans ce contexte, l’application classique de la lex loci protectionis, la loi du pays pour lequel la protection est revendiquée, se heurte à de sérieuses difficultés de localisation, en particulier lorsque les actes de reproduction sont techniquement disséminés et juridiquement difficilement identifiables.
Le rapport écarte explicitement toute tentative de localisation fondée exclusivement sur l’infrastructure technique (localisation des serveurs, des centres de données ou des opérations matérielles de copie).
Une telle approche est jugée à la fois imprévisible, instable et inopérante, notamment en raison de la multiplicité des serveurs mobilisés et de l’existence d’inputs « médians » intervenant à différents stades du fonctionnement du modèle.
À l’inverse, le rapport privilégie une approche juridique globale, fondée sur l’analyse du processus d’exploitation dans son ensemble. Il met en évidence un lien indissociable entre l’input et l’output, l’entraînement n’ayant de sens qu’en vue de la génération de résultats fournis à l’utilisateur. Cette configuration est analysée à l’aune de la notion de délit complexe, bien connue en droit international privé.
En qualifiant les opérations d’entraînement et de génération de résultats comme les deux extrémités d’un processus unique, le rapport retient une localisation « en aval » du délit complexe.
Il en résulte que la loi du pays du dommage, entendu comme le pays dans lequel les utilisateurs accèdent aux réponses générées par le modèle, doit en principe s’appliquer.
Concrètement, cette analyse conduit à privilégier la loi du pays de commercialisation du modèle d’IA, y compris pour apprécier la licéité des actes de reproduction réalisés en amont lors de l’entraînement. Cette solution est présentée comme la plus cohérente, la plus prévisible et la plus conforme aux logiques traditionnelles du droit international privé appliquées aux atteintes en ligne aux droits de propriété intellectuelle.
La seconde partie du rapport examine l’incidence du règlement européen sur l’intelligence artificielle du 13 juin 2024 sur le raisonnement de conflit de lois.
Sans instituer formellement de règle de conflit, le considérant 106 du règlement joue un rôle déterminant : il impose aux fournisseurs de modèles d’IA à usage général mis sur le marché de l’Union de respecter la législation européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins, indépendamment du lieu où se déroulent les actes d’entraînement.
Le rapport en déduit que cette exigence est de nature à influencer fortement la solution de droit international privé, soit par la qualification de certaines règles européennes comme lois de police, soit par le jeu de l’exception d’ordre public international, lorsque l’application d’une loi étrangère priverait les titulaires de droits de toute faculté d’opposition ou de protection.
Conclusion
Par ce rapport, le CSPLA propose une lecture structurée et ambitieuse des règles de droit international privé applicables à l’intelligence artificielle générative. Il affirme clairement que, dès lors qu’un modèle d’IA est commercialisé sur le territoire de l’Union européenne, les juridictions nationales sont fortement incitées à imposer l’application de la législation européenne en matière de propriété littéraire et artistique, y compris pour des actes d’entraînement réalisés hors de l’Union.
Ce rapport constitue ainsi une référence essentielle pour les titulaires de droits, les opérateurs d’IA et les praticiens, en apportant un cadre juridique cohérent à une problématique appelée à devenir centrale dans les contentieux à venir.

