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Actualité
9/12/25

Retour sur l’annulation d’une marque ornementale apposée sur des chaussures féminines : l’EUIPO tranche dans l’affaire Loro Piana

Il est instructif de revenir sur la décision rendue le 16 décembre 2024 à l’encontre de la maison Loro Piana, d’autant plus qu’un an plus tard, le 10 novembre 2025, l’EUIPO validait le dépôt de dessin & modèle d’une sneaker de la même marque, cette fois avec succès. Alors que cette protection récente s’attache à la valeur esthétique d’une création, l’affaire de 2024 illustre au contraire les exigences spécifiques du droit des marques, qui ne protège la forme que lorsqu’elle est perçue comme indication d’origine. Ainsi, ce qui peut être protégé comme design ne devient pas automatiquement une marque, même s’il exprime une identité visuelle immédiatement reconnaissable pour l’amateur éclairé.

Dans l’affaire de 2024, Loro Piana demandait l’enregistrement d’un signe constitué de deux brides disposées sur l’empeigne de chaussures féminines, chacune agrémentée d’un pendentif métallique, l’un en forme de cadenas, l’autre ajouré. Il ne s’agissait ni d’un logo, ni d’un mot, ni d’un élément apposé sur la chaussure comme accessoire autonome : le signe était matériellement intégré au produit lui-même. Cette particularité déterminait toute l’analyse juridique. En effet, lorsqu’un signe est incorporé à l’apparence du produit, le droit des marques adopte une approche beaucoup plus rigoureuse. Depuis l’arrêt Plastikflaschenform (CJUE, 25 octobre 2007, C-238/06 P), la Cour de justice exige que ce type de signe « se distingue de manière significative des usages du secteur » pour être enregistré. Ce critère, qui s’applique à la forme des produits comme à leurs éléments appliqués, ne vise pas l’originalité artistique, mais uniquement la capacité du signe à indiquer une origine commerciale.

Or, l’EUIPO constate que l’empeigne d’une chaussure constitue traditionnellement un espace d’expression stylistique, particulièrement dans le secteur féminin où pampilles, accessoires métalliques, éléments suspendus et charmes décoratifs sont largement répandus. Dans un tel contexte, l’élément revendiqué par Loro Piana est susceptible d’être interprété par le consommateur non comme un identifiant d’origine, mais comme une variante esthétique parmi celles qui abondent dans la pratique du marché. Même si l’objet est identifiable par une clientèle fidèle, l’appréciation juridique demeure objective : c’est la perception du consommateur moyen de la classe 25 qui est retenue, et non celle d’un public averti des codes du luxe. Ainsi, l’identification stylistique n’équivaut pas à l’identification commerciale. La marque ne protège pas un langage visuel implicite : elle ne protège que la fonction d’indication d’origine, et encore faut-il en démontrer l’existence.

La maison invoquait toutefois un usage continu du signe, ainsi que des contrefaçons en ligne, pour soutenir que le public reconnaîtrait déjà cet élément comme une signature distinctive. Juridiquement, ces arguments ne pouvaient prospérer. Sans invocation explicite de l’article 7, paragraphe 3, du Règlement, relatif au caractère distinctif acquis par l’usage, l’Office ne peut en tenir compte. L’usage prolongé devient alors juridiquement neutre. Quant à la contrefaçon, l’EUIPO refuse d’y voir un indice de distinctivité : un objet décoratif est copié autant qu’un signe distinctif. La copie révèle parfois l’attrait esthétique, mais elle ne démontre jamais la perception commerciale.

Enfin, la société invoquait ses marques antérieures, comprenant des configurations proches. L’argument est rejeté en raison de la présence d’éléments verbaux tels que « Loro Piana » ou « LP » dans ces marques, éléments susceptibles d’induire la perception de l’origine et rendant impossible toute comparaison probante avec le signe purement ornemental. L’Office rappelle d’ailleurs que sa pratique antérieure ne constitue pas une règle de droit et que le principe de légalité prime sur la cohérence décisionnelle, conformément à la jurisprudence Glass pattern (CJUE, 28 juin 2004, C-445/02).

La décision du 16 décembre 2024 s’inscrit ainsi dans une ligne cohérente : le droit des marques n’a pas pour vocation de monopoliser l’esthétique, même lorsqu’elle devient emblématique. Il exige que la forme dépasse la fonction ornementale pour être immédiatement comprise comme signe d’origine. Ce qui frappe l’œil ne devient pas, en soi, un indicateur juridique. La protection de l’identité visuelle des maisons de luxe dépend donc de leur capacité à transformer l’implicite stylistique en preuve objective. Cela suppose non seulement d’anticiper les dépôts appropriés, notamment en recourant au dessin & modèle lorsque la création relève de l’esthétique, mais également d’être en mesure de démontrer, le moment venu, que certaines formes sont perçues comme des marques grâce à des études de perception, une revendication explicite du caractère distinctif acquis et une stratégie d’association avec des éléments verbaux ou figuratifs.

Plus que jamais, la protection des identités non verbales requiert une articulation fine entre création, perception du public et qualification juridique. C’est précisément dans cette zone de rencontre entre esthétique et preuve que se construit aujourd’hui la stratégie des marques du luxe.

Vincent FAUCHOUX
Image par Canva
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