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Actualité
19/11/24

Pratiques d’obstruction & OVS : le groupe Loste aurait-il pris l’Autorité de la concurrence pour un jambon ?

En 2021, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’ADLC ») a ouvert une enquête concernant des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la charcuterie salaisonnerie. En novembre 2023, le juge des libertés et de la détention a autorisé l’ADLC à procéder à des opérations de visite et saisie (ci-après « OVS ») dans les locaux des sociétés Loste et CA Conseils et services (ci-après « le groupe Loste »), ainsi que de la Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viandes.

Par une décision de septembre 2024 (n° 24-D-08), l’ADLC a infligé une sanction pécuniaire au groupe Loste solidairement avec sa société mère d’un montant de 900 000 €, pour avoir fait obstruction aux OVS diligentées dans le cadre de l’enquête.

Pour rappel, les OVS réalisées par les agents l’ADLC visent à obtenir des renseignements relatifs à une infraction ou à un manquement au droit de la concurrence. Les agents procédant aux OVS peuvent pénétrer, entre 8 heures et 20 heures, dans tous les lieux utilisés à des fins professionnelles, lieux d'exécution d'une prestation de services et moyens de transport à usage professionnel. Ce faisant, ils peuvent exiger la communication de documents professionnels de toute nature et recueillir tout renseignement ou justification nécessaire au contrôle.

Lorsqu’une entreprise fait obstruction à l’investigation ou à l’instruction, elle encourt une sanction pécuniaire d’un montant maximum d’1% du montant de son chiffre d’affaires mondial hors taxes (article L. 464-2, V, al.2 du Code de commerce). On entend par obstruction toute entrave au déroulement des OVS, imputable à l’entreprise, qu’elle soit intentionnelle ou qu’elle résulte d’une négligence (Cons. Constit., n°2021-892, 26 mars 2021). Une obstruction peut consister en la fourniture de renseignements incomplets ou inexacts, la communication de pièces incomplètes ou dénaturées, le bris des scellés ou encore l’altération la réception de courriels dans la boîte mail d’un salarié.

En l’espèce, le dirigeant du groupe Loste avait été mis au courant de la présence d’enquêteurs de l’ADLC dans les locaux de l’entreprise mais il a quitté précipitamment les lieux sans se présenter à eux. Lorsqu’ils ont tenté de le contacter par téléphone, il a indiqué être au Royaume-Uni et ne pas pouvoir se rendre sur place. De son côté, la directrice juridique a affirmé aux rapporteurs ne pas avoir vu le dirigeant ce jour-là, alors même qu’elle l’avait informé en personne de la présence des rapporteurs.

Le groupe Loste a soutenu que ces comportements ne caractérisaient en aucun cas des actes d’obstruction à l’enquête dans la mesure où (i) il n’aurait réalisé aucun acte ayant eu pour objet ou pour effet d’entraver le bon déroulement des investigations et (ii) n’aurait pas manqué à son obligation de collaboration active et loyale. (iii) Mais l’ADLC a écarté ces arguments et a infligé une amende de 900 000 € en estimant que les pratiques mises en œuvre étaient « particulièrement graves ».

(i) L’obstruction, au sens de l’article L. 464-2 du code de commerce, résulte-t-elle nécessairement d’une action positive, comme le soutient le groupe Loste ?

L’ADLC a rappellé que, si elle est de nature à compromettre l’efficacité de l’action des enquêteurs, la négligence ou la passivité de l’entreprise peut à elle seule constituer une infraction. En l’espèce, l’ADLC a écarté les arguments du groupe Loste au motif que l’article L. 464-2 du code de commerce sanctionne spécifiquement le fait de fournir des renseignements incomplets ou inexacts. Elle retient que c’est effectivement le cas en l’espèce puisque les représentants du groupe Loste ont fourni des renseignements inexacts sur la présence du dirigeant dans les locaux de l’entreprise.

L’ADLC a précisé qu’il n’est nullement requis, au stade de la qualification d’une infraction d’obstruction, de faire la démonstration d’une suppression ou d’une manipulation de preuves, car les comportements en cause avaient nécessairement entraîné un risque de déperdition ou d’altération des preuves, par définition impossible à démontrer, et avaient ainsi pu compromettre l’efficacité de l’action des services d’instruction.

(ii) Le goupe Loste estimait que la qualification d’obstruction devait être remise en cause du fait que le dirigeant a communiqué plusieurs informations (codes d’accès, ordinateur, tablette, téléphone portable) et que les enquêteurs ont eu accès à des moyens matériels (salles de réunion, d’archives, etc.).

Mais selon l’ADLC, le comportement dirigeant, qui ne s’est pas présenté aux rapporteurs alors qu’il était effectivement présent sur les lieux, est à lui seul constitutif d’une violation de l’obligation de coopération active et loyale. Le fait qu’il ait par la suite communiqué aux enquêteurs plusieurs informations et que des accès aient été donnés ne constitue que « des diligences normales qui ne sauraient excuser la fourniture d’informations inexactes ».

(iii) L’ADLC a estimé que « la phase initiale des OVS revêt une importance particulière, puisqu’elle conditionne le bon déroulé de la suite de l’opération et, in fine, de l’instruction dans son ensemble ».

En effet, c’est au cours de cette phase que le risque de déperdition d’éléments de preuves est le plus élevé. Par conséquent, l’ADLC a considéré que l’infraction en cause était « particulièrement grave », justifiant ainsi le montant important de la sanction.

Depuis 2017, date à laquelle l’ADLC a infligé une sanction de 30 millions d’euros à la société Brenntag pour obstruction (en raison de renseignements incomplets/inexacts et communication de pièces incomplètes/dénaturées), l’article L. 464-2 du code de commerce a été appliqué six fois (900 000 € pour Akka en 2019, 100 000 € pour Fleury Michon et pour Mayotte Channel Gateway en 2021, 75 000 € pour Eurobéton France en 2024).

L’ADLC n’hésite pas à se fonder sur cet article pour prononcer des sanctions très élevées lorsqu’elle estime que les pratiques d’obstruction en cause sont particulièrement graves. C’est pourquoi les entreprises doivent être vigilantes et collaborer avec les agents de l’Autorité tout au long de la procédure, et notamment durant la phase préliminaire d’investigation.

Philippe BONNET / Rémi ACHARD
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