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Actualité
2/10/25

Paroles publiques sous surveillance : les annonces d’entreprises peuvent révéler des indices d’entente selon le TUE.

Arrêt TUE, 9 juill. 2025, aff. T-188/24, Michelin c/ Commission

Par décision C(2024)243 final du 10 janvier 2024, la Commission européenne a ordonné une inspection chez Michelin dans le cadre de l’enquête « Hoops » (AT.40863) relative à de possibles pratiques collusoires entre les principaux fabricants de pneumatiques de remplacement pour les voitures et les camions. L’inspection, réalisée fin janvier 2024, a donné lieu à la saisie de documents et de supports électroniques. Michelin a introduit un recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne invoquant un défaut de motivation ainsi qu’une violation du droit au respect du domicile et des communications.

Pour motiver son inspection, la Commission s’était appuyée sur une nouvelle méthode de « market screening » consistant en une analyse automatisée et qualitative de centaines de milliers de communications publiques des entreprises, visant à détecter des occurrences répétées de termes liés à des stratégies tarifaires, interprétées comme des signaux plausibles de coordination.

L’arrêt du tribunal illustre une évolution importante : la Commission peut recourir à des données publiques pour déclencher une inspection (I), mais leur exploitation est strictement encadrée par l’exigence d’indices contemporains et suffisamment circonstanciés (II).

1. Les annonces publiques comme indices sérieux justifiant une inspection

La Commission s’est appuyée sur plusieurs centaines de milliers de transcriptions de déclarations publiques destinées aux investisseurs (earnings calls trimestriels, conférences de presse, rapports d’analystes). 

Pour analyser ces déclarations publiques, la Commission a recouru à des techniques de text mining et de détection d’occurrences récurrentes (bigrammes). Cette approche quantitative visait à identifier des régularités linguistiques (par exemple, des formules récurrentes d’annonce de hausses tarifaires).

Par principe, de telles communications relèvent de l’obligation de transparence financière : elles informent le marché et sont a priori parfaitement licites. 

Mais en pratique, elles peuvent aussi servir de vecteur pour adresser des « signaux » aux concurrents, notamment lorsqu’elles contiennent des annonces d’intentions futures sur les prix, la capacité de production ou la politique commerciale. En l’espèce, les déclarations publiques de certains fabricants lors d’earnings calls portaient sur leur volonté de « suivre ou de mener » des évolutions tarifaires, notamment sur les prix de gros.

Le Tribunal reconnaît que, même publiques, ces déclarations peuvent constituer des indices sérieux de collusion, si elles sont rédigées ou présentées de manière à informer les concurrents plus que les investisseurs. Autrement dit, la publicité d’une déclaration ne suffit pas à neutraliser son potentiel anticoncurrentiel.

Il est, par ailleurs, rappelé qu’en vertu de l’article 20§4 du règlement (CE) n°1/2003, la Commission peut, par décision motivée, ordonner une inspection. L’acte doit exposer les soupçons et indiquer qu’elle dispose d’indices suffisamment sérieux à l’appui de ces soupçons (TUE, 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T-325/16 ; TUE 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T-135/09). Le Tribunal souligne ainsi l’équilibre entre le niveau de détail exigé et la nécessité de préserver l’efficacité de l’enquête. En effet, la décision CJUE 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C-37/13 P, citée, indique que la Commission n’a pas à dévoiler toutes ses preuves dans la décision.

2. La proportionnalité et les limites de l’approche de la Commission

Le contrôle du juge vise à éviter que des entreprises soient perquisitionnées uniquement sur la base d’analyses statistiques appliquées à des données publiques, sans corrélation concrète. Le Tribunal admet cette méthode, mais insiste sur son rôle limité : elle ne peut fournir qu’un indicateur d’alerte, à corroborer par des indices qualitatifs. La proportionnalité exige que :

  1. Les résultats statistiques soient illustrés par des exemples concrets de déclarations publiques ;
  2. Ces exemples soient contemporains de la période visée, et non de simples références rétrospectives.

Ainsi, pour la période principale, la Commission avait fourni des extraits pertinents d’earnings calls, qui ont suffi à établir la plausibilité d’un échange de signaux. En revanche, pour la période antérieure, elle n’avait avancé « aucun indice contemporain », mais seulement des déclarations évoquant la répercussion de hausses de coûts passées, utilisées par la Commission de façon rétrospective. 

Ce faisant, le Tribunal protège le droit au respect du domicile et des communications des entreprises (art. 7 Charte des droits fondamentaux), en rappelant qu’une perquisition est une mesure intrusive qui doit reposer sur des indices sérieux, même si ceux-ci proviennent de documents publics.

Ainsi les déclarations publiques peuvent être valablement exploitées pour justifier une inspection, mais l’analyse quantitative doit être complétée par un examen qualitatif et contextuel. Sans corrélation avec des passages concrets et contemporains, la valeur probatoire reste insuffisante.

Le standard jurisprudentiel devient donc hybride :

  • Quantitatif : analyses massives de données publiques pour repérer des tendances ;
  • Qualitatif : sélection et interprétation d’extraits précis pour fonder la suspicion sur des indices sérieux, proportionnés et contextualisés.
Philippe BONNET / Manou Dusserre-Trosborg
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