Le 2 juin 2025, la Commission européenne a infligé 329 millions d’euros d’amende à Delivery Hero et Glovo pour avoir participé à une entente en violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE.
Par cette décision elle a, pour la première fois, qualifié une entente sur le marché du travail (en l’occurrence un accord de non-débauchage entre concurrents ou « gentlemen’s agreements ») comme une infraction autonome et a, dans le même temps, sanctionné l’usage anticoncurrentiel d’une participation minoritaire dans le capital d’une entreprise concurrente. L’affaire concerne des pratiques mises en œuvre entre 2018 et 2022, période pendant laquelle Delivery Hero détenait une participation minoritaire non contrôlante dans Glovo, qu’il a progressivement augmentée jusqu’à en prendre le contrôle exclusif.
Dans le sillage de la Commission, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a, à son tour, sanctionné deux ententes distinctes portant sur des accords généraux de non-débauchage conclus entre, d’une part, Ausy (devenu Randstad Digital) et Alten, et d’autre part, Expleo et Bertrandt le 11 juin 2025.
Les accords de non-débauchage sont souvent non formalisés et leur champ d’application, tant en termes de durée que de portée, très large.
La Commission a retenu que Delivery Hero et Glovo ont entrepris une coordination anticoncurrentielle à plusieurs niveaux. Si les deux entreprises ont en particulier conclu un accord de non-débauchage étendu à l’ensemble des salariés, elles ont par ailleurs échangé des informations sensibles sur leurs prix, coûts, stratégies commerciales et capacités. Ces trois pratiques ont été qualifiées d’infraction unique et continue par objet.
Les gentlemen’s agreements, en tant qu’ils constituent un accord ayant pour objet la répartition de sources d’approvisionnement figurent parmi les ententes anticoncurrentielles expressément citées par les dispositions de l’article 101, paragraphe 1, sous c) du TFUE et de l’article L. 420-1, 4° du code de commerce. Ils sont considérés, aux termes d’une jurisprudence constante, comme constituant « des violations particulièrement graves de concurrence » et ayant « un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes », cette analyse ayant en outre été confirmée par la Cour de justice précisément au sujet d’accords de non-débauchage (Arrêt de la Cour de justice 4 oct. 2024, FIFA / BZ, C-650/22).
L’ADLC a notamment rappelé au point 620 de sa décision que « l’analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s’insère peut ainsi se limiter à ce qui s’avère strictement nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet » conformément aux arrêts CJUE, 20 janvier 2016, Toshiba, C-373/14 P et CJUE, EDP (Energias de Portugal), C-331/21.
La détention d'une participation dans le capital d'un concurrent n'est pas en soi illégale mais, dans le cas de l’entente entre Delivery Hero et Glovo, elle a permis des contacts anticoncurrentiels entre les deux sociétés concurrentes.
La Commission a constaté qu’elles avaient progressivement supprimé les contraintes concurrentielles qui existaient entre elles. Elles ont, ainsi, coordonné leur déploiement géographique, en évitant d’entrer sur leurs marchés nationaux respectifs et en se répartissant les marchés potentiels.
La participation minoritaire détenue par Delivery Hero au capital de Glovo a facilité la mise en œuvre des comportements anticoncurrentiels précédemment décrits. Elle a conféré à Delivery Hero un accès privilégié à des informations commercialement sensibles ainsi qu'une capacité d’influence sur les processus décisionnels de Glovo. Cette situation a, en définitive, permis un alignement des orientations stratégiques des deux entités.
Ce cas met en évidence les risques concurrentiels inhérents aux participations croisées horizontales entre concurrents, en particulier lorsqu’elles s’accompagnent d’une influence effective ou potentielle sur la conduite stratégique d’une partie. La Commission rappelle que de telles structures capitalistiques doivent dès lors être examinées avec une attention particulière au regard du droit de la concurrence.
Par ailleurs, l’ADLC s’est prononcée, pour la première fois, sur les clauses de non-sollicitation. Il était reproché à Ausy et Atos et à Bertrandt et Expleo d’avoir inséré, dans une série de contrats de partenariat et de sous-traitance, des clauses de non-sollicitation qui, eu égard à leur caractère réciproque, leur champ étendu, leur nature et leur finalité, auraient eu pour objet de limiter la liberté commerciale des parties en matière d’embauche de personnel.
Contrairement aux accords de non-débauchage, l’ADLC a estimé que ces clauses ne constituaient pas une entente de répartition des sources d’approvisionnement, notamment au regard de leur champ temporel et matériel limité et des objectifs qu’elles poursuivaient.
Ainsi, elle a rappelé au point 572 de sa décision que « quand bien même la sollicitation active serait prohibée et l’interdiction de sollicitation serait mutuelle, les clauses litigieuses n’ont vocation à s’appliquer que pour une durée limitée qui apparaît raisonnable au regard de l’intérêt, pour les parties, de garantir la stabilité des équipes affectées à la réalisation d’un projet »
Selon le communiqué de l’ADLC, cette analyse ne préjuge toutefois pas de la possibilité que de telles clauses, compte tenu des circonstances propres à chaque espèce, soient considérées comme anticoncurrentielles dans de futurs dossiers.