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18/9/25

La classification cancérogène du dioxyde de titane annulée, faute de preuve scientifique suffisante

Arrêt de la CJUE du 1 août 2025 dans les affaires jointes C-71/23 P | France/CWS Powder Coatings e.a. et C-82/23 P Commission/CWS Powder Coatings e.a.

Le dioxyde de titane (TiO₂) est utilisé sous la forme d’un pigment blanc dans de nombreux produits, notamment les peintures, les médicaments, les denrées alimentaires et les jouets. En 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a soumis à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) une proposition visant à classer le dioxyde de titane comme substance cancérogène par inhalation. L’année suivante, le Comité d’évaluation des risques (CER) de l’ECHA a adopté un avis selon lequel il était justifié de classer cette substance comme cancérogène. Sur la base de cet avis, la Commission européenne a, en 2019, adopté un règlement délégué (Règlement délégué (UE) 2020/217 de la Commission, du 4 octobre 2019, modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement no 1272/2008) procédant à la classification et à l’étiquetage du dioxyde de titane, visant spécifiquement les poudres contenant 1 % ou plus de particules d’un diamètre inférieur ou égal à 10 μm.

Différents fabricants, importateurs, utilisateurs en aval et fournisseurs de dioxyde de titane ont contesté cette classification et cet étiquetage devant le Tribunal de l’Union européenne. Par son arrêt du 23 novembre 2022, le Tribunal a annulé la classification et l’étiquetage litigieux, constatant notamment que la Commission avait commis une erreur manifeste dans l’appréciation de l’acceptabilité et de la fiabilité d’une étude scientifique sur laquelle elle s’était fondée. La France et la Commission européenne ont formé des pourvois devant la Cour de justice contre cet arrêt.

Par son arrêt du 1er août 2025, la CJUE a rejeté ces pourvois et confirmé l’annulation de la classification litigieuse du dioxyde de titane comme substance cancérogène catégorie 2, au titre du règlement CLP (CE n°1272/2008), validant ainsi l’approche scientifique et juridique retenue par le Tribunal. Cette décision illustre la tension entre, d’une part, la rigueur de l’expertise scientifique et la démonstration de la propriété intrinsèque comme conditions de légalité des classifications de la cancérogénicité (I); et d’autre part, l’encadrement du contrôle juridictionnel et la validation par la Cour de l’appréciation du Tribunal face aux expertises scientifiques. (II).

I. La rigueur scientifique et la propriété intrinsèque comme fondement de la légalité des classifications CLP

La Cour de justice a rappelé que la légalité d’une classification d’une substance cancérogène repose sur des données scientifiques fiables et acceptables. L’étude Heinrich est qualifiée de décisive mais non unique, ce qui signifie que sa force probante dans le processus décisionnel était centrale, mais que la classification reposait également sur d’autres données. 

Cette distinction est essentielle : le Tribunal n’a pas ignoré l’existence d’autres preuves, mais a considéré que la validité de l’étude décisive devait être suffisante pour soutenir la classification. En effet, le Tribunal a considéré que contrairement à l’étude Lee « ce n’est pas sur la base du demi-temps d’élimination pulmonaire et de la dose ainsi que de la concentration en particules de dioxyde de titane que le CER avait tiré ses conclusions sur le niveau de surcharge pulmonaire mesuré dans le cadre de l’étude Heinrich et donc sur l’acceptabilité des résultats de cette étude » (considérant 92).

Cependant, la Cour a relevé que l’étude présentait des lacunes méthodologiques importantes, et que le calcul Morrow, destiné à renforcer sa plausibilité, reposait sur des hypothèses contestables, en particulier sur la densité des particules et des agglomérats. Ces défauts ont conduit à qualifier de manifestement erronée l’appréciation du CER et de la Commission, ce qui justifie l’annulation de la classification.

Par ailleurs, l’arrêt met l’accent sur la notion de propriété intrinsèque : une substance ne peut être classée cancérogène que si elle présente une capacité inhérente à provoquer le cancer, indépendante de conditions expérimentales particulières ou de paramètres méthodologiques. Dans le cas du dioxyde de titane, les effets observés ne suffisaient pas à établir une propriété intrinsèque, car ils résultaient de phénomènes non spécifiques liés à la surcharge pulmonaire par accumulation de particules insolubles et non à une toxicité propre au TiO₂.

Ainsi, la Cour consacre une double exigence : la classification doit reposer sur des données scientifiques solides, et ces données doivent permettre d’établir une propriété intrinsèque de la substance, condition juridique fondamentale de la légalité des classifications harmonisées.

II. L’encadrement du contrôle juridictionnel face à l’expertise scientifique et aux études décisives

La Cour a réaffirmé que le juge de l’Union n’est pas un expert scientifique et ne peut se substituer aux autorités spécialisées. Il doit toutefois vérifier que les évaluations scientifiques ne révèlent pas une erreur manifeste d’appréciation, conformément à la jurisprudence antérieure (arrêts du 21 juillet 2011, Nickel Institute, C-14/10, EU:C:2011:503, point 60, ainsi que du 9 novembre 2023, Chemours Netherlands/ECHA, C-293/22 P, EU:C:2023:847, point 134). 

Le paramètre de densité utilisé dans le calcul Morrow illustre ce contrôle : le CER avait choisi la densité intrinsèque des particules (4,3 g/cm³), tandis que le Tribunal a estimé que la densité réelle des agglomérats devait être prise en compte (plus faible). Si le Tribunal a frôlé la limite de sa compétence, la Cour a confirmé qu’il n’a pas substitué son appréciation et « dénaturé les éléments de preuve », mais a constaté une erreur manifeste, garantissant la cohérence et la rationalité de l’évaluation scientifique.

La Cour a rattaché ce contrôle à l’exigence de motivation. Toute décision de classification doit expliquer « de manière claire et intelligible » pourquoi les données retenues suffisent à démontrer une propriété intrinsèque. Cette exigence permet au juge de sanctionner des incohérences ou des insuffisances scientifiques sans empiéter sur l’expertise technique des agences.

Toutefois, la Commission alerte sur cette déclassification qui ne tiendrait pas assez compte du contexte et de la finalité du règlement n°1272/2008 et méconnaîtrait le principe de précaution. Selon elle, il devrait être considéré que la composition chimique d’une substance ne suffirait pas nécessairement à en déterminer les propriétés intrinsèques, susceptibles d’entraîner sa classification comme substance dangereuse. En outre, l’absence de prise en considération des effets cancérogènes d’une substance dans le cadre de sa classification et de son étiquetage harmonisés limite la communication d’informations sur cette base et la capacité des utilisateurs à prendre des précautions appropriées, et empêche l’application d’autres actes législatifs fondés sur l’évaluation des risques.  

Jean-Christophe ANDRÉ / Manou Dusserre-Trosborg
Image par Canva
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