Cass. civ. 1re, FS-B, 3 septembre 2025, n° 23-18.669
Le contentieux de la contrefaçon musicale connaît régulièrement des rebondissements autour d’un sujet aussi technique que décisif : la prescription.
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 3 septembre 2025 apporte une clarification majeure : lorsqu’une œuvre est exploitée de manière continue, chaque acte de diffusion ou de commercialisation constitue une atteinte autonome faisant courir un nouveau délai de prescription de cinq ans.
L’affaire, très médiatisée, oppose les auteurs du générique de la série animée Code Lyoko au groupe américain Black Eyed Peas.
Les compositeurs français M. J. et M. S., rejoints ensuite par M. W., sont les auteurs et co-éditeurs de la chanson « Un monde sans danger », créée pour le générique de Code Lyoko et déposée à la SACEM en 2004.
Ils reprochent au groupe Black Eyed Peas d’avoir repris des éléments caractéristiques de leur œuvre dans le titre « Whenever », publié en 2010 au sein de l’album The Beginning.
Convaincus de la contrefaçon, ils adressent une mise en demeure le 30 décembre 2011 aux auteurs-compositeurs du titre incriminé, à leurs éditeurs (BMG, EMI), au producteur (Interscope) et au distributeur français (Universal).
Ce n’est toutefois que le 6 juin 2018 qu’ils engagent une action en contrefaçon devant les juridictions françaises.
Ils soutiennent que la commercialisation et la mise à disposition numérique de Whenever se sont poursuivies, ce qui constitue des actes nouveaux de contrefaçon, notamment :
La cour d’appel de Paris (17 mai 2023) juge l’action prescrite sur le fondement de l’article 2224 du Code civil.
Selon elle, le délai de cinq ans a commencé à courir dès la mise en demeure de 2011, moment où les auteurs avaient eu connaissance de la contrefaçon alléguée.
La commercialisation et la diffusion postérieures ne seraient que le « prolongement normal » de l’exploitation initiale de l’album paru en 2010, sans faire courir de nouveau délai.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.
Elle rappelle que, conformément à l’article 2224 du Code civil :
« Lorsque la contrefaçon résulte d’une succession d’actes distincts, qu’il s’agisse d’actes de reproduction, de représentation ou de diffusion, la prescription court pour chacun de ces actes à compter du jour où l’auteur a connu ou aurait dû connaître cet acte. »
En d’autres termes, la publication initiale en 2010 n’épuise pas l’action : les ventes et la mise à disposition numérique constatées en 2018 constituent des contrefaçons nouvelles, dont la prescription doit être calculée acte par acte.
L’action engagée le 6 juin 2018 n’était donc pas prescrite pour ces faits.
L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
Cet arrêt est d’une importance particulière pour le secteur musical et, plus largement, pour toutes les industries culturelles dont les œuvres sont diffusées ou réexploitées au fil du temps.