Le 2 avril 2025, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle afin de préciser si, en droit de l’Union, l’action fondée sur une rupture brutale des relations commerciales établies relève encore de la matière contractuelle.
Cette initiative intervient peu après une décision de la Cour de cassation, rendue le 12 mars 20251, affirmant que, dans l’ordre international, hors champ d’application du droit de l’Union, l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie – visée à l’article L. 442-1, II du Code de commerce – relève de la responsabilité délictuelle, conformément à une position classique en droit interne.
L’affaire à l’origine de cette saisine concerne une société chypriote ayant, en 1995, conclu un contrat avec une société française pour la mise à disposition de pilotes d’hélicoptères et d’ingénieurs mécaniciens. La société française a mis fin à la relation, sans respecter de préavis – aucune durée n’était prévue au contrat.
La société chypriote engage alors une action devant les juridictions françaises, fondée sur la rupture brutale au sens de l’article L. 442-1, II du Code de commerce. Toutefois, la cour d’appel décline l’application de cette disposition, considérant qu’aucun lien de rattachement suffisant avec la France ne justifiait son application, et a retenu la loi de Jersey, choisie par les parties, conformément à l’article 3 du règlement Rome I applicable en matière contractuelle.
La demanderesse a formé un pourvoi, soutenant notamment que la disposition française constitue une loi de police, et que la loi française est applicable en vertu de l’article 4.3 du règlement Rome II, applicable en matière délictuelle, en tant que loi présentant les liens les plus étroits avec le litige.
La Cour de cassation profite de cette affaire pour inviter la CJUE à clarifier la qualification juridique de l’action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies en droit de l’Union.
En effet, depuis l’arrêt Granarolo du 14 juillet 20162, une divergence persistante oppose le droit français et le droit de l’Union quant à la nature de cette action :
Depuis lors, l’arrêt Wikingerhof du 24 novembre 20203 a semble-t-il remis en cause cette jurisprudence. En effet, la Cour y précise que la matière contractuelle ne s’applique pas dès lors que l’interprétation du contrat n’est pas indispensable pour évaluer la licéité des pratiques reprochées, de sorte que, l’action, fondée sur la violation d’une obligation légale – en l’occurrence, l’interdiction des abus de position dominante –, relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens des règlements européens.
En outre, la Cour de cassation souligne que « les commentaires doctrinaux de l'arrêt Wikingerhof qui ont été publiés en France ont relevé que cet arrêt ne citait jamais le précédent Granarolo ce qui a nourri l'hypothèse d'un abandon par la Cour de justice de cette jurisprudence. »
Partant, la Cour de cassation interroge la CJUE sur le point suivant :
« une action indemnitaire engagée au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies, fondée sur une disposition légale prohibant un comportement, relève [t-elle] de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, indépendamment des liens contractuels pouvant exister entre les parties ? »
Il en résulte un véritable enjeu d’harmonisation des qualifications : une réponse affirmative consacrerait l’application du règlement Rome II et du règlement RBI Bis4 relatif à la détermination du juge compétent, reconnaissant une qualification délictuelle de l’action à l’échelle européenne, en cohérence avec le droit français.
À l’inverse, un retour à la logique de l’arrêt Granarolo contribuerait à entretenir une certaine incohérence jurisprudentielle de la CJUE et renforcerait le décalage avec l’approche retenue en droit français.
À suivre …
1 Cass. civ., 12 mars 2025, n° 23-22.051
2 CJUE, 14 juillet 2016, C-196/15.
3 CJUE, 24 novembre 2020, C-59/19.
4 En son article 7.2)