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Actualité
17/1/17

Originalité. De la protection de l'investissement, à la promotion de la créativité

L’œuvre, qu’elle soit ou non dans la liste évoquée dans notre précédente brève, doit être une œuvre originale pour être protégée par le droit du copyright. Dans la loi britannique de 1988, l’exigence est posée à l’article 1(1) mais seulement à propos des œuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques (les « œuvres d’entreprises » telles que les enregistrements de sons ne sont pas concernés par cette condition). Du côté des Etats-Unis, la loi de 1976 mentionne le critère à l’article 102 (b) (« Original work »). Dans les deux cas c’est bien le juge qui a donné un contenu à cette notion. Avant de le présenter et de l’illustrer concrètement, trois observations générales doivent être faites.

Tout d’abord, il est évident que la conception de l’originalité dépend en grande partie de la philosophie du droit qui l’accueille (même si le juge du copyright, comme celui du droit d’auteur continental, n’aime pas s’enfermer dans les systèmes). Dans le cadre de la théorie des droits naturels (ou le droit du copyright est avant tout un droit de propriété), l’accent sera nécessairement mis sur la personnalité de l’auteur. Dans l’environnement des théories de la récompense ou de l’incitation, les juges insisteront sur la nécessité de protéger l’investissement et/ou le travail attaché à l’œuvre ou l’utilité de défendre telle ou telle création. Ensuite, la notion d’originalité est, dans le copyright comme ailleurs, un concept à géométrie variable. La notion a évolué dans le temps, comme nous allons le voir, mais elle diffère surtout selon les objets que l’on considère. L’originalité ne sera pas envisagée de la même manière pour le poème de D.H Lawrence et pour une œuvre informationnelle telle qu’une base de données. Enfin, l’originalité dans le copyright ne dépend nullement d’un « état de la culture », comme l’on parle de « l’état de la technique » dans le droit des brevets1. Un auteur ayant créé quelque chose qui appartiendrait déjà à l’état de la culture (le Good vibrations des Beach Boys ou Le grand canal de Venise de William Turner) pourrait encore jouir du copyright. On cite souvent cette formule du juge Learned Hand2 disant que, si « par quelque magie quelqu’un, qui ne l’avait jamais connue, composait une ode de Keats » (Keats était un poète anglais du début du 19ème siècle), « il devrait pour cela recevoir un copyright ».

Ces précisions apportées, quel contenu le juge a-t-il donné à l’originalité ?
Sans distinguer les droits du Royaume-Uni et des Etats-Unis, nous pouvons isoler quatre périodes.

L'originalité vu par les juges : 4 périodes

Première période

Dans un premier temps, qui est un peu le degré zéro de l’originalité, les juges exigeront de l’auteur qu’il n’ait pas copié son œuvre sur quiconque et qu’il l’ait réalisée de manière indépendante. Ceci résulte clairement, par exemple en Angleterre, de la décision University of London Press v. University Tutorial Press3.

Deuxième période

Dans un deuxième temps, les magistrats britanniques vont se référer au tryptique du “labour” (travail), “skill” (talent ou compétence) et “judgment” (jugement ou discernement). L’arrêt Ladbroke v. William Hill4, rendu à propos des tableaux de match de football permettant aux consommateurs de parier dans un certain ordre, est ici tout à fait significatif. De son côté, le juge américain fera preuve de plus de nuances. Celui-ci va en effet osciller entre deux conceptions de l’originalité : l’une continentale qui met l’accent sur la création intellectuelle et l’autre plus anglo-saxonne qui s’attache aux investissements qui ont été effectués (doctrine dite de la sueur du front, « sweat of the brow »). L’exemple développé plus bas à propos d’une photographie illustre la première tendance. Au soutien de la seconde, l’arrêt West Publishing Co. V. Mead Data Central Inc5. est significatif. Dans cette décision, une Cour d’appel a en effet estimé que des compilations tels que des recueils de jurisprudence de West sont protégeables dans la mesure où elles sont « le résultat d’un travail, d’un talent et d’un jugement considérable (…) Pour rencontrer les conditions (…) une œuvre doit seulement être le produit d’une faible quantité de travail intellectuel ».

Troisième période

Le troisième temps est certainement le plus intéressant. Il marque une petite révolution, tant dans le droit des Etats-Unis, que dans le droit du Royaume-Uni (avec un certain décalage dans le temps). Aux États-Unis, l’évolution viendra du très important arrêt Feist rendu par la Cour Suprême le 27 mars 19916. Le litige posait la question de savoir si Feist Publication, qui est une société spécialisée dans l’édition d’annuaires téléphoniques, était autorisée à reprendre une série d’adresses contenues dans l’annuaire que Rural Téléphone avait constituée (Rural Téléphone étant une société ayant entretenu un réseau téléphonique local et ayant collecté, dans ce cadre, les données de ses abonnés). Pour s’y opposer, Rural Téléphone avait invoqué son copyright et le travail fourni à cette occasion. Selon la Cour Suprême la doctrine de la sueur du front « fait fi des principes du copyright » et elle « contient plusieurs défauts » (donc notamment le fait d’approprier les faits eux-mêmes, en l’occurrence les données, au mépris du principe de distinction fait-expression). Ce n’est donc pas cette doctrine qui constitue la pierre angulaire du copyright mais l’originalité. Et le niveau d’originalité, c’est là le plus important, n’est pas atteint dès lors que l’œuvre est « dénuée de toute trace, même la plus ténue de créativité« .

Le mieux ici est de citer ce court extrait de la décision :

« Original, as the term is used in copyright, means only that the work was independently created by the author (as opposed to copied from other works), and that it possesses at least some minimal degree of creativity ».

Concrètement, le juge considère qu’il ne peut pas y avoir de créativité dans le fait de classer des données par ordre alphabétique, par villes, par professions… Du côté du Royaume-Uni, comme nous l’avons constaté à propos de la notion d’œuvre dans notre première brève, la jurisprudence Infopaq et Eva Painer de la Cour de justice a vocation à faire évoluer considérablement cette jurisprudence. Nombre d’œuvres impliquant le travail, le talent et le jugement ne sont pas élaborés sur le fondement du principe de liberté des choix. Qui peut prétendre, pour reprendre l’exemple d’une décision anglaise, que le fait de consigner les discours d’un comte dans un ouvrage procède d’un choix ?

Quatrième période

Le dernier temps consiste donc à savoir si le juge britannique suit cette jurisprudence de la CJUE et si les juges des cours inférieures aux Etats-Unis respectent les enseignements de l’arrêt Feist. Nul se sera surpris de lire que nos voisins anglais n’en font qu’à leur tête… Comme cela a été bien montré7, les cours britanniques, soit ignorent totalement la condition de liberté des choix, soit s’y réfèrent, soit considèrent que le tryptique vu plus haut (labour, skill and judgement) représente son équivalent, ce qui, bien évidemment, est totalement faux. Les juges américains, de leur côté, respectent la décision de la Cour suprême et scrutent la créativité, y compris dans les productions les plus sommaires8.

Avec les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour suprême, et malgré les incertitudes britanniques, nous pouvons considérer que la notion de « création intellectuelle propre à son auteur » a triomphé9.

Comment l’originalité est-elle appréciée concrètement par le juge ?

Sur ce point, nous présenterons un arrêt américain (Mannion v. Coors Brewing Co.10) qui se rapproche au courant de l’arrêt Feist et qui annonce d’une certaine manière l’arrêt Eva Painer de la Cour de justice (rendu en 2011).

Dans cette affaire Monsieur Mannion qui est un photographe free lance prit des photos d’un basketteur professionnel, Kevin Garnett, pour illustrer un article dans un magazine de Slam. Une agence, qui travaillait pour une marque de bière, reçut l’autorisation du photographe de manipuler l’image pour la confection d’un projet de publicité. Par la suite, l’agence de publicité a développé sa propre publicité en reprenant des éléments de la photographie du basketteur : un angle similaire (la photographie est prise par en dessous), un sujet de l’image qui semble adopter la même posture et qui revêt le même type de vêtements et de bijoux ostentatoires (« bling bling » pour reprendre l’expression du jargon Hip-hop adopté précisément à propos des accoutrements fortement visibles).

La cour, dans une décision motivée avec beaucoup de soins caractérisera les éléments de protection des photographies, soulignera l’originalité du cliché, rejettera l’argument du défenseur selon lequel la reprise des éléments relevait du domaine des idées et caractérisera les similitudes entre les œuvres.

Le premier point est celui qui doit retenir l’attention. L’originalité d’une photographie peut, en effet,  selon le juge être identifiée à trois niveaux :

  • Le rendu, tout d’abord, qui renvoie dans la photographie aux choix des angles de vue, de la lumière, de l’ombre, des effets atteints par les filtres et des techniques de développements.
  • Le moment de la capture de la photographie, ensuite, qui peut être décisif. Le juge développera ici l’exemple de la célèbre photographie du marin embrassant une infirmière sur Times Square. Une minute avant, ou après, ce cliché ne présenterait plus du tout le même intérêt artistique.
  • La mise en scène, enfin, car le photographe opère toujours des choix en agençant différentes composantes (ici la posture du basketteur professionnel).

Une analyse conforme en tous points à celle qui est suivie par un juge continental un peu rigoureux lorsqu’il s’agit de se prononcer sur des photographies de plateau de cinéma, des représentations de produits ou des clichés de personnalités publiques.

Jean-Michel BRUGUIERE

1 Rappelons que cette notion renvoie à l’ensemble des connaissances qui permettent d’apprécier la nouveauté d’une invention revendiquée ainsi que son activité inventive.

2 Sheldon v. Metro-Goldwyn Pictires Corp., 81 F 2d 49, 54, V. O. Bull., 21, 25, 263 (2d Cir. 1936), aff’d 309 U.S. 390 (1940).

3 University of London Press v. University Tutorial Press [1916] 2 Ch 209.

4 Ladbroke v. William Hill [1964] 1 All ER 465, 469

5 West Publishing Co. V. Mead Data Central Inc, 799 F.2d 1219, 1226 (8 th Cir. 1886)

6 Feist Publications, Inc. v. Rural Telephone Service, 499 U.S. 340, 345 (1991)

7 E. Derclaye "La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne en matière de de droit d'auteur: évaluation de son impact sur et de sa réception par le droit du Royaume-Uni. Que réserve l'avenir ?" RIDA 2014/4 p. 5 et s

8 Ainsi le minimum de créativité a été jugé atteint pour 7 notes d’une première mesure d’une chanson, les caractéristiques premières du visage d’une poupée ou un label apposé sur une boite de médicament…

9 L’expression de « création intellectuelle propre à son auteur » est une notion de droit continental. A l’analyse, elle nous semble assez proche du critère adopté aux Etats-Unis La création intellectuelle correspond à l’exigence de créativité ; quant au caractère propre, il renvoie à l’idée que l’auteur a réalisé son œuvre de manière indépendante et qu’il ne l’a pas copiée sur un autre.

10 Mannion v. Coors Brewing Co. 377 F. Supp. 2d 444 (SDNY 2005)

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