Téléchargez gratuitement notre eBook "Pour une stratégie d'entreprise éco-responsable"
télécharger
French
French
Actualité
1/6/23

L’impact de l’IA sur les contrats de création, c’est maintenant !

La révolution IA est en marche… Le 13 avril dernier, la photographie de Boris Eldagsen, « The Electrician », réalisée à l’aide d’une IA, remportait le premier prix des Sony World Photography Awards 2023 dans la catégorie Creative Open. Immédiatement après sa victoire, l’artiste allemand déclarait toutefois sur son blog qu’il refusait d’accepter le prix estimant que « les images faites par IA et les photos ne devraient pas concourir ensemble dans une compétition comme celle-là ».

Aujourd’hui, tout l’enjeu est d’encadrer au mieux l’utilisation de cette technologie afin de promouvoir une IA « digne de confiance »1.

À ce sujet, la Commission européenne a déjà publié une proposition de règlement2, actuellement en discussion devant le Parlement européen, qui devrait s’appliquer courant 2024, dont l’ambition est d’améliorer la transparence concernant l’utilisation de l’IA.

Selon le commissaire au Marché de l’Intérieur, Thierry Breton, « les gens devraient être informés qu'ils ont affaire à un chatbot et non à un être humain »3.
La proposition de règlement du 21 avril 2021 dispose ainsi, à propos de ce qu’il est convenu d’appeler l’hypertrucage, que :

« Si un système d’IA est utilisé pour générer ou manipuler des images ou des contenus audio ou vidéo afin de produire un résultat qui ressemble sensiblement à un contenu authentique, il devrait être obligatoire de déclarer que le contenu est généré par des moyens automatisés, sauf pour certaines finalités légitimes faisant l’objet d’exceptions (domaine répressif, liberté d’expression) »4.

On relèvera également que le droit de la propriété intellectuelle a déjà mis en œuvre des mécanismes visant à créer des obligations d’information et de transparence à la charge du titulaire de droits. C’est en effet ce qui est prévu en droit des brevets d’invention dans le but de permettre l’identification de la source des ressources génétiques ou des savoirs traditionnels sur lesquels l’invention faisant l’objet d’une demande serait fondée5.

Quels impacts concrets sur la rédaction des contrats IP d’entreprise ?

Sans attendre la mise en place d’un cadre légal européen et a fortiori français, les entreprises doivent dès à présent s’interroger quant à l’impact de l’IA sur leurs contrats IP ; au-delà du bouleversement des méthodes de création, l’IA impactera nécessairement d’autres points essentiels de la relation contractuelle (par exemple : les prix, les délais, etc.).

Les entreprises pourraient tout d’abord imposer au créateur de déclarer si les prestations créatives confiées seront réalisées à l’aide d’une IA, et dans l’affirmative, dans quelles conditions précises et avec quel outil.

Cette exigence répondrait non seulement au principe de transparence européen à venir mais aussi à l’obligation de bonne foi, prévue à l’article 1104 du Code civil, impliquant une information complète du cocontractant à tous les stades de la vie du contrat6.
Ce dernier doit « être [en effet] négocié, formé et exécuté de bonne foi » qui plus est lorsqu’il s’agit d’un contrat de création par essence même basé sur un fort intuitu personae et une démarche d’honnêteté. À ce jour, les contrats IP sont encore silencieux à ce sujet, mais les pratiques de marché devraient évoluer très rapidement. L’IA est un outil d’une puissance sans commune mesure avec ceux utilisés jusqu’à présent pour les créations graphiques, et il parait difficile de réduire l’usage de l’IA à celui d’un simple outil logiciel comme Photoshop qui ne nécessiterait pas d’être déclaré à l’entreprise à l’origine de la commande.

En conséquence de cette nouvelle transparence contractuelle, les entreprises pourraient demander au créateur des garanties spécifiques, notamment d’éviction puisque la plupart des outils IA (ChatGPT, DALL E, etc.) déclinent leur responsabilité en cas d’atteinte aux droits IP des tiers (par ex : dans ses conditions générales d’utilisation, Midjourney stipule que « dans le cas où ses utilisateurs violeraient sciemment les droits de tiers, elle viendrait les trouver et leur réclamerait de l’argent »7).

IA et Propriété Intellectuelle

Quid du caractère protégeable des créations réalisées à l’aide d’une IA ?

À ce jour, une incertitude perdure quant à la protection des créations réalisées à l’aide d’une IA. En effet, en France, ni le législateur ni la Cour de cassation ne se sont encore prononcés sur cette question.

Pour rappel, « l’emploi d’une machine n’est pas de nature à faire perdre à l’œuvre considérée son caractère d’originalité »8.

La création doit refléter la personnalité de son auteur personne physique et manifester ses choix libres et créatifs. Ainsi, seules les créations « assistées » par IA, impliquant une intervention humaine (au stade de la conception, de l’exécution et/ou de la rédaction), pourraient être protégées par le droit d’auteur. Pour celles-là, il pourrait donc s’avérer très utile d’imposer contractuellement au créateur d’utiliser, à des fins probatoires, un service permettant d’assurer la traçabilité de ses « prompts » c’est-à-dire du schéma conversationnel employé, par exemple à l’aide d’un outil blockchain.
En effet, il semble parfaitement envisageable qu’un enchainement spécifique de prompts puisse procéder d’une démarche libre et arbitraire, révélatrice d’une véritable empreinte de personnalité.
À l’inverse, un prompt isolé ou combiné à d’autres pourrait venir affecter la démonstration d’une originalité au sens du droit d’auteur (par exemple : la demande de génération d’une statue de couleur vive à la façon de Jeff Koons). D’où l’intérêt de conserver la preuve de ces échanges avec le chatbot au moyen d’un outil infalsifiable, tel que la blockchain, par l’intégration d’outils logiciels utilisant cette technologie avec les principaux outils IA (ChatGPT, Midjourney, etc.).

En conclusion, quel que soit leur secteur d’activité, les entreprises doivent donc dès à présent intégrer la problématique IA dans leurs contrats de création et procéder aux adaptations rédactionnelles qui s’imposent car elles ignorent peut-être que certaines des créations qu’elles ont d’ores et déjà commandées seront, dans des proportions plus ou moins importantes, déjà réalisées à l’aide d’une IA ! En conclusion, le juriste ne peut que confirmer que « l’IA, c’est maintenant ! ».

Vincent FAUCHOUX

1 Livre blanc sur l’intelligence artificielle, « Une approche européenne axée sur l’excellence et la confiance », publié le 19 février 2020 par la Commission européenne.
2 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil n°2021/0106 (COD) du 21 avril 2021 établissant « des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle (législation sur l’intelligence artificielle) et modifiant certains actes législatifs de l’union », dit « IA Act ».
3 Propos recueillis lors d’une interview accordée au media Reuters le 3 février 2023
4 COM/2021/206 final, §5.2.4.
5 Voir les textes internationaux de la Convention de Rio sur la diversité biologique (1992) et du Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages (2010).

6 Voir en ce sens : CA Paris, 15 avril 2022, n°20/06329 - concernant un contrat de maintenance de logiciel.

7 Voir la documentation Midjourney.

8 CA Douai, 4 déc. 1964 LNF c. Ass. USVA, Ann. 1965, 218. 1. Cité par : André R Bertrand.

Découvrez le rapport d'activité annuel du cabinet
lire le rapport

Abonnez vous à notre Newsletter

Recevez chaque mois la lettre du DDG Lab sur l’actualité juridique du moment : retrouvez nos dernières brèves, vidéos, webinars et dossiers spéciaux.
je m'abonne
DDG utilise des cookies dans le but de vous proposer des services fonctionnels, dans le respect de notre politique de confidentialité et notre gestion des cookies (en savoir plus). Si vous acceptez les cookies, cliquer ici.