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Actualité
14/5/25

Hermès obtient gain de cause contre des pratiques d’upcycling illicites : une décision de référence du Tribunal judiciaire de Paris

Tribunal judiciaire de Paris, 3e chambre, 1re section, jugement du 10 avril 2025, n° RG 22/10720

Par un jugement du 10 avril 2025, la 3e chambre, 1re section du Tribunal judiciaire de Paris a condamné solidairement les sociétés Maison R&C, Atelier R&C et leur dirigeante, Madame Géraldine Lugassy Demri, pour des actes de contrefaçon de droits d’auteur et de marque, ainsi que pour concurrence déloyale et parasitaire au préjudice des sociétés Hermès International et Hermès Sellier. Cette décision s’inscrit comme l’une des premières affaires judiciaires françaises portant spécifiquement sur l’« upcycling » dans le secteur du luxe.

I. Les faits à l’origine du litige

La société Hermès International est titulaire de la marque verbale française « Hermès » déposée en 1936 (n° 1.558.350), notamment pour des vêtements et accessoires (classe 25). Sa filiale, la société Hermès Sellier, fabrique et commercialise depuis 1937 des foulards carrés en soie, reproduisant des dessins originaux réalisés par des créateurs renommés dans le cadre de contrats de cession de droits patrimoniaux.

En 2021, les sociétés défenderesses ont mis en place une activité de transformation de vestes en jean, issues de la marque Levi’s, dans lesquelles étaient intégrés des empiècements découpés à partir de foulards Hermès authentiques. Présentés comme des produits de « surcyclage » ou « upcycling », ces articles étaient personnalisables par les clients à partir d’un catalogue de foulards, dont plusieurs modèles emblématiques de la maison Hermès. L’activité commerciale, largement relayée dans la presse féminine, était opérée via le site internet https://maisonrandc.fr et un compte Instagram dédié.

Les sociétés Hermès, estimant qu’il s’agissait d’une exploitation non autorisée de leurs droits, ont diligenté plusieurs constats sur internet, puis deux constats d’achat, avant d’assigner les défenderesses pour contrefaçon de droits d’auteur (livre I du CPI), de marque (livre VII du CPI), ainsi que pour concurrence déloyale et parasitisme (article 1240 du Code civil).

II. Les fondements juridiques invoqués

Les sociétés demanderesses ont soutenu que les dessins apposés sur les foulards étaient des œuvres originales au sens des articles L.111-1 et L.112-1 du Code de la propriété intellectuelle, et qu’en conséquence :

« les exposition, offre en vente, mise sur le marché, détention et commercialisation […] de vestes reproduisant la combinaison originale des caractéristiques des carrés d’Hermès Sellier […] constituent des actes de contrefaçon » (conclusions Hermès, p. 5).

S’agissant de la marque « Hermès », elles ont invoqué la reproduction illicite de celle-ci sur des produits similaires ou identiques sans autorisation, en violation de l’article L.713-2 du CPI. Elles ont par ailleurs souligné le caractère déloyal et parasitaire de l’usage de leurs créations dans une activité commerciale visant à tirer indûment profit de leur renommée.

Les défenderesses ont opposé plusieurs moyens :

  • l’absence d’originalité des dessins invoqués, à l’exception d’un seul (« Brazil ») ;
  • l’épuisement des droits patrimoniaux d’auteur (art. L.122-3-1 CPI), les foulards en cause ayant été mis sur le marché de manière licite ;
  • la primauté de la liberté de création (art. 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE) et de la protection de l’environnement (art. 37 de la même Charte), dans le cadre d’une démarche écoresponsable de réutilisation.

III. La position du tribunal

Le tribunal, après avoir reconnu à Hermès Sellier la qualité de titulaire des droits patrimoniaux sur les œuvres, a examiné individuellement l’originalité des 24 dessins en litige. À titre d’exemple, il retient, à propos du dessin « Gaucho » :

« la combinaison des caractéristiques d’agencement et d’entrelacement des différents éléments […] témoigne de choix esthétiques libres et créatifs […] conférant au dessin une apparence singulière, portant l’empreinte de la personnalité de son auteur » (§26).

Ce raisonnement est repris pour chaque dessin, à l’issue d’une analyse minutieuse du style, de la composition, de l’agencement ou encore des références culturelles et artistiques, conduisant à reconnaître leur protection par le droit d’auteur.

Le tribunal rejette par ailleurs l’argument tiré de l’épuisement des droits, estimant qu’aucune preuve n’est rapportée quant à l’acquisition licite et la revente sans transformation des œuvres, et que :

« le découpage des œuvres intervient dans le cadre d’une activité commerciale et n’était pas strictement nécessaire pour revendre des foulards d’occasion » (§15).

Il récuse également toute supériorité des droits invoqués au titre de la liberté de création ou de l’environnement :

« les foulards ne sont pas des déchets mais ont au contraire une valeur marchande, même d’occasion […], et l’activité commerciale en cause a un impact environnemental négatif puisqu’elle implique l’approvisionnement de blousons neufs » (§15).

IV. Les mesures ordonnées par le tribunal

À l’issue de son analyse, le Tribunal judiciaire de Paris a ordonné une série de mesures particulièrement fermes :

  • Condamnation solidaire des défenderesses à verser :
    • 54.000 € à Hermès Sellier pour les préjudices économiques ;
    • 80.000 € pour atteinte aux droits moraux et de marque (40.000 € à chacune des demanderesses) ;
    • 30.000 € pour les économies d’investissement ;
    • 40.000 € au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ;
  • Interdiction sous astreinte de poursuivre les actes incriminés, avec une astreinte fixée à 5.000 € par jour de retard, par infraction constatée ;
  • Publication judiciaire du jugement :
    • dans trois titres de presse au choix d’Hermès (dans la limite de 10.000 € HT par publication),
    • en story permanente sur les pages d’accueil du site https://maisonrandc.fr et des comptes Instagram des défenderesses pendant 3 mois, en français et en anglais.
  • Condamnation à 30.000 € au titre de l’article 700 du CPC.

V. Une décision de référence pour le secteur du luxe

Ce jugement constitue l’une des toutes premières décisions en France condamnant des pratiques commerciales qualifiées d’« upcycling » lorsqu’elles portent atteinte à des droits de propriété intellectuelle. Sous couvert de recyclage et de valorisation écologique, les défenderesses avaient en réalité mis en place un processus de désassemblage, transformation et revente de produits emblématiques, sans aucune autorisation des titulaires de droits.

Le tribunal rappelle avec fermeté que la propriété intellectuelle ne saurait céder devant des justifications esthétiques, marketing ou environnementales dès lors que les œuvres en cause conservent une valeur économique, même dans le circuit de la seconde main. Cette décision illustre clairement les limites juridiques du « surcyclage » lorsqu’il déborde de sa vocation artisanale ou éthique pour devenir un outil d’exploitation parasitaire de la réputation de grandes marques.

Vincent FAUCHOUX
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