Par jugement du 7 mai 2025, la 3e chambre, 3e section du Tribunal judiciaire de Paris, statuant selon la procédure accélérée au fond (art. 481-1 CPC), a ordonné aux principaux fournisseurs d’accès à Internet français — Bouygues Télécom, Orange, Free, SFR et SFR Fibre — de mettre en œuvre toutes mesures propres à empêcher l’accès au site https://news.dayfr.com à partir du territoire français, en raison de la reproduction non autorisée à grande échelle de contenus de presse protégés.
L’action était initiée par un large groupement d’éditeurs de presse, parmi lesquels la S.A.S. Centre France Hebdos, la S.A. La Montagne, la S.A. Le Populaire du Centre, la S.A. La République du Centre, la S.A. Libération, la S.A. La Dépêche du Midi, la S.A. Le Télégramme, ainsi que le syndicat professionnel L’Alliance de la Presse d’Information Générale (APIG).
Les demandeurs se fondaient sur les articles L.122-4 et L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle, ce dernier permettant au président du tribunal judiciaire, selon la procédure accélérée au fond, d’ordonner toute mesure propre à prévenir ou faire cesser une atteinte aux droits d’auteur ou droits voisins à l’encontre de toute personne susceptible d’y contribuer, y compris les FAI.
Ils invoquaient également l’article L.331-1 al. 2 du même code, reconnaissant la qualité à agir aux organismes de défense professionnelle, ainsi que l’article L.2132-3 du Code du travail, permettant aux syndicats professionnels d’agir pour défendre l’intérêt collectif de la profession.
Le Tribunal a considéré que les conditions de l’article L.336-2 étaient réunies, la preuve d’une atteinte substantielle aux droits d’auteur ayant été rapportée par procès-verbaux d’huissier. Ces constats ont établi que le site “Une première en droit français — et peut-être au niveau mondial — face à une forme automatisée et dissimulée de contrefaçon numérique” reproduisait, sans autorisation, de très nombreux articles de presse protégés, issus des titres représentés par les demandeurs.
Le Tribunal a relevé que :
« Le site litigieux permet aux internautes d’avoir accès à des œuvres protégées sans avoir l’autorisation des titulaires de droits, nonobstant les légères modifications apportées aux articles reproduits. »
Le Tribunal a également constaté le caractère anonyme et dissimulé du site, notant qu’il ne comportait aucune des mentions légales obligatoires prévues par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), que son hébergeur était la société Cloudflare Inc., et que le titulaire du nom de domaine n’était pas identifiable.
Dans ce contexte, il a considéré que :
« Ces éléments démontrent la connaissance du caractère entièrement ou quasi entièrement illicite des liens présents sur le site litigieux par les personnes qui contribuent à cette diffusion, et la difficulté pour les auteurs et producteurs de poursuivre les responsables de ce site. »
Se fondant sur l’article L.336-2 CPI, tel qu’interprété à la lumière de la jurisprudence de la CJUE (notamment les arrêts Scarlet Extended et Promusicae), le Tribunal a rappelé la nécessité de concilier la protection des droits d’auteur avec la liberté d’entreprendre des FAI et la liberté d’information des usagers.
Il a néanmoins jugé que, dans les circonstances de l’espèce, le caractère manifestement illicite et systématique des atteintes justifiait une mesure de blocage :
« Le nom de domaine <dayfr.com>, permettant l’accès au site litigieux, dont le caractère entièrement ou essentiellement illicite a été établi, devra faire l’objet de mesures de blocage. »
Le jugement :
Enfin, le Tribunal souligne que, en cas de contournement, notamment par changement de nom de domaine ou de structure du site, les demandeurs pourront saisir à nouveau la juridiction, selon la procédure accélérée au fond ou en référé.
Cette décision constitue une première judiciaire notable en matière de lutte contre la contrefaçon de contenus de presse diffusés sur des sites anonymes, qui n’hésitent pas à exploiter des technologies d’indexation et de réécriture partielle pour capter du trafic web et les revenus publicitaires associés.
Sans l’indiquer explicitement, le fonctionnement du site en question s’apparente à ce que de nombreux observateurs désignent aujourd’hui comme des “fermes à contenus”, souvent alimentées par des modèles d’IA générative ou semi-automatisée, recyclant des contenus journalistiques de qualité dans un but purement commercial, au mépris du droit d’auteur et du pluralisme de l’information.
La présente décision ouvre la voie à d’autres actions similaires, notamment contre des plateformes qui reprennent sans autorisation des contenus protégés sous couvert d’agrégation algorithmique. Elle confirme que les éditeurs disposent d’un levier procédural efficace pour agir non seulement contre les sites pirates eux-mêmes (souvent inaccessibles), mais aussi contre les intermédiaires techniques, dès lors que les conditions légales sont réunies.