Condamnation d’un hébergeur à une obligation de retrait temporaire ciblée sur des contenus précisément localisés - Cass., 1ère civ. 26 février 2025, n° 23-15.966
La société Nintendo fabrique et commercialise dans de nombreux pays dont la France des consoles de jeux ainsi que des jeux vidéo, tels que les jeux vidéo « Pokémon » sur lesquels elle est co-titulaire de droits d'auteur avec les sociétés The Pokemon Company, Creatures Inc. et Game Freak Inc. Elle est également titulaire de plusieurs marques verbales ou figuratives, de l'Union européenne ou internationales.
Après s’être aperçues que des liens permettant le téléchargement de copies non autorisées de leurs jeux « Super Mario Maker pour Nintendo 3DS », « Pokémon Sun » et « Pokémon Moon » figuraient sur le service d’hébergement proposé par la société DStorage, ces sociétés ont sollicité par courrier leur retrait. Huit jours plus tard, elles ont réitéré leur demande et sollicité en outre le retrait de nouveaux liens menant vers des copies non autorisées des jeux « The Legend of Zelda : Breath of the Wild», « Super Mario Odyssey », « Mario Kart 8 Deluxe », « Splatoon 2 », «Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon ». Les liens litigieux étant toujours disponibles au bout de plusieurs mois sur le service d’hébergement proposé par la société DStorage, elles l’ont assigné en responsabilité, indemnisation et retrait des liens sous astreinte.
La Cour d’appel de Paris a considéré que la société DStorage avait engagé sa responsabilité en tant qu’hébergeur en n’ayant pas agi promptement pour retirer les liens litigieux et ce, après réception de deux notifications envoyées par les requérantes. En conséquence, elle lui a ordonné, sous astreinte, de retirer ou de bloquer l'accès aux contenus constituant des copies de ces jeux vidéo, et l’a condamnée à réparer le préjudice commercial subi par la société Nintendo.
La société DStorage s’est pourvue en cassation. Considérant être un simple service de stockage, elle a contesté sa responsabilité mais également l’obligation de procéder au retrait de l’ensemble des liens constituant des copies non autorisées des jeux vidéos de la société Nintendo, au motif que la cour d’appel ne s’était pas limitée à une mesure de surveillance ciblée et temporaire, mais lui avait imposé une obligation générale de surveillance, en violation de l’article 6, I, 7, de la LCEN, dans sa rédaction antérieure applicable à l'espèce, issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Elle a reconnu la validité des notifications adressées à la société DStorage, sur fondement de la LCEN et de la directive e-commerce, permettant en cas d’inaction d’engager la responsabilité d’un hébergeur dès lors que l’identité des auteurs des liens litigieux ne pouvait être connue et que les éléments fournis permettaient suffisamment de constater l'illicéité des liens. La Cour a également jugé que la mesure ordonnée, consistant en un retrait du site internet de la société DStorage ou un blocage de l'accès aux contenus constituant des copies des jeux vidéo précités, sous une astreinte limitée à six mois, n'imposait à cette société qu'une activité de surveillance ciblée sur des contenus très précis et temporaire.