Cour d’appel de Paris, Pôle 5 - Chambre 2, 11 juillet 2025, RG n° 23/17558
Par arrêt du 11 juillet 2025, la Cour d’appel de Paris a condamné la société Mulanka pour des actes de contrefaçon de droits d’auteur à l’encontre de la société Hermès Sellier, au sujet de ses célèbres sandales « Oran » et « Izmir ». La Cour reconnaît la protection au titre du droit d’auteur de ces modèles emblématiques du prêt-à-porter de luxe, en sanctionnant la reproduction de leurs caractéristiques essentielles par des mules diffusées dans des circuits commerciaux distincts.
Hermès Sellier est titulaire d’un modèle français n°971181-040, déposé le 26 février 1997, représentant ses sandales « Oran », et revendique également la titularité des droits d’auteur sur ces modèles, ainsi que sur leur déclinaison masculine « Izmir ».
La diffusion d’un reportage sur M6, le 4 juin 2020, révèle la commercialisation de mules litigieuses dans la boutique « Sabatyk », exploitée par la société Mapinko, alors alimentée par la société Mulanka. Des opérations de saisie-contrefaçon sont autorisées le 23 juin 2020 et exécutées le 3 juillet 2020, confirmant la présence de produits similaires.
Hermès assigne les sociétés concernées pour contrefaçon de droits d’auteur, de modèle et concurrence déloyale. Par jugement du 7 juillet 2023, le Tribunal judiciaire de Paris reconnaît une contrefaçon partielle mais alloue des dommages-intérêts très limités (1 000 € contre Mapinko, 500 € contre Mulanka). Hermès interjette appel.
La Cour confirme que « la société Hermès Sellier est fondée à se prévaloir de la présomption de titularité des droits patrimoniaux d’auteur sur les sandales ‘Oran’ et ‘Izmir’ » dès lors qu’elle justifie d’un dépôt de modèle sous son nom et d’une exploitation « sous la marque qui rattache clairement les produits, dans l’esprit du public, à la société Hermès Sellier » (arrêt, p. 14).
La Cour relève par ailleurs que les contrats de cession ont été signés par le créateur des sandales, M. H. W., à titre personnel, en qualité de commandité. L’originalité des modèles est démontrée : « le motif de la tige, en forme de H, d’inspiration tribale […] présente une singularité incontestable » (p. 15), suffisante à conférer une protection par le droit d’auteur.
Conformément à l’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle, la contrefaçon s’apprécie « au regard des ressemblances, et non des différences ». La Cour identifie, au sein des mules référencées, deux références (1155 et 1180) reproduisant les éléments caractéristiques des sandales Hermès : encoches rectangulaires, tige en forme stylisée de H, semelle plate.
« Ces mules reproduisent les caractéristiques originales des sandales ‘Oran’ et ‘Izmir’, cette forte ressemblance n’étant pas atténuée par le caractère courbe des encoches et un surpiquage plus apparent » (p. 19). La Cour infirme donc le jugement du tribunal sur ce point.
Les autres références sont jugées non contrefaisantes, la Cour soulignant notamment « des encoches arrondies », « une tige piquée de perles » ou encore « une semelle matelassée », qui altèrent l’impression d’ensemble (p. 20).
Sur le fondement du modèle français n°971181-040, la Cour considère que les produits litigieux ne produisent pas sur l’observateur averti une impression d’ensemble identique.
Elle confirme le rejet des demandes formées au titre de la contrefaçon de modèle, en application des articles L.513-4 et L.513-5 du Code de la propriété intellectuelle.
La Cour applique les dispositions de l’article L.331-1-3 CPI et distingue trois postes de préjudice :
La Cour souligne que « les sociétés Mapinko et Mulanka ont incontestablement réalisé des économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels du fait de l’atteinte aux droits d’auteur de la société Hermès Sellier » (p. 22).
Le préjudice total est ainsi fixé à 25 282,35 €, montant mis à la charge conjointe de la société Mapinko (au passif de la liquidation judiciaire) et de la société Mulanka.
Outre la condamnation pécuniaire, la Cour interdit à la société Mulanka de commercialiser les modèles 1155 et 1180, sous astreinte de 500 € par infraction constatée, pour une durée de six mois à compter de la signification de l’arrêt.
La Cour rejette les autres demandes de publication judiciaire, de confiscation et de concurrence déloyale, estimant que « la mesure d’interdiction est suffisante à faire cesser les actes de contrefaçon » (p. 22).
Cette décision est bienvenue, tant par la clarté de son analyse juridique que par la reconnaissance de la valeur créative d’un modèle iconique de la maison Hermès. Elle rappelle que les créations emblématiques du luxe, même en apparence simples ou minimalistes, peuvent relever du droit d’auteur dès lors qu’elles portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur.
La contrefaçon reste un fléau constant pour les grandes maisons. Comme le rappelle ce contentieux, la lutte contre les copies appelle une vigilance de chaque instant, un recours systématique aux outils probatoires tels que la saisie-contrefaçon, et une action contentieuse résolue.