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Actualité
23/6/14

beIN SPORT n’est pas un concurrent déloyal !

Par un jugement très attendu en date du 18 juin dernier, le Tribunal de commerce de Nanterre a rejeté les demandes indemnitaires de 262 millions d’euros formées par le groupe Canal+ (GCP) à l’encontre de son concurrent beIN SPORT.

GCP reprochait à beIN SPORT l’adoption d’« un comportement économiquement irrationnel, fondé sur la vente des chaînes beIN SPORT à un prix anormalement bas au regard des investissements particulièrement importants réalisés, qui entraîne une désorganisation du marché ».

Si le rejet par le Tribunal des demandes de GCP paraît logique, l’arrivée de beIN SPORT n’ayant manifestement pas entraîné une désorganisation de GCP qui conserve les droits de diffusion des compétitions les plus attractives (meilleures affiches du championnat de football français, championnat de football anglais, TOP 14 de rugby, formule 1…), la motivation du jugement laisse le lecteur sur sa faim.

1. Tout d’abord, le Tribunal s’est attaché à démontrer d’une part que le prix de l’abonnement à l’offre beIN SPORT n’était pas « anormalement bas par rapport à ceux du marché » et d’autre part que l’entrée de beIN SPORT sur le marché n’avait pas « entraîné un renchérissement des prix d’acquisition de droits ».

Ce faisant, les juges ont quelque peu dénaturé la portée du grief de GCP qui dénonçait la combinaison de coûts d’acquisition de droits très élevés et d’un prix de vente de l’abonnement très bas ne permettant pas à la société beIN SPORT France, éditrice des chaînes concernées, d’atteindre une rentabilité au cours des prochaines années.

Cette analyse dissociée du grief de GCP a conduit le Tribunal à constater que le prix de l’abonnement aux chaînes beIN SPORT (11€ par mois) était en « en adéquation avec les prix observés sur le marché » alors qu’il aurait du plutôt vérifier si ce prix était en adéquation avec le coût de grille de ces chaînes.

D’autant que les chaînes beIN SPORT sont des chaînes de sport dites « premium »1 n’ayant pas d’équivalent sur le marché, de sorte que la comparaison entre le prix de son abonnement et celui de l’abonnement aux autres chaînes de sport (Foot+ et Orange Sport) est très contestable.

Si la comparaison avec le prix de l’abonnement à la chaîne Orange Cinéma Séries (12€ par mois) apparaît plus pertinente, cette chaîne relevant comme beIN SPORT de la catégorie « premium mono-contenu », encore aurait-il fallu que le Tribunal puisse comparer également les coûts de grille de ces deux chaînes !

2. Par ailleurs, le Tribunal a jugé que « le fait pour un nouvel entrant de subir des pertes dans la phase initiale de développement de son offre sur un marché n’est pas une situation anormale à condition de s’inscrire dans une perspective économique à l’issue de laquelle l’opérateur peut envisager d’atteindre un équilibre économique ».

Ce considérant pose clairement le principe selon lequel le fait pour un opérateur d’adopter un modèle économique qui n’est pas susceptible d’être viable à l’issue d’une période de lancement peut être constitutif de concurrence déloyale.

Au vu de ce considérant, l’on aurait pu s’attendre à ce que les juges examinent attentivement l’étude économique produite par GCP dont il ressortait que l’offre de beIN SPORT ne serait pas rentable au cours des dix prochaines années et générerait une perte cumulée de près de 1,8 milliards d’euros à l’horizon 2020.

Force est de constater que le Tribunal a fait peu de cas de cette étude : « il est impossible pour CANAL+ de présumer ce que pourrait être l’offre de beIN SPORT dans 1, 3, 5 ou 10 ans, compte tenu notamment de l’évolution extrêmement rapide et continue du secteur audiovisuel et de la croissance mondiale du secteur du sport, dopée par des évènements sportifs de notoriété mondiale ».

Les juges semblent ainsi avoir considéré qu’aucune étude économique ne pouvait valablement prédire, à peine un an après le lancement de beIN SPORT, l’absence de viabilité de son modèle économique, d’autant que celui était susceptible d’évoluer dans les prochaines années.

La forte croissance du nombre d’abonnés aux chaines beIN SPORT (de 500 000 abonnés en 2012 à près de 2 000 000 abonnés aujourd’hui), dopée par la Coupe du monde de football qui permet à beIN SPORT d’afficher des records d’audience et donc des recettes publicitaires[2], n’a pu qu’inciter les juges à tenir ce raisonnement prudent.

Il n’en reste pas moins que si la société beIN SPORT France n’atteignait pas la rentabilité au cours des 5 prochaines années, elle pourrait à nouveau être attraite par son concurrent GCP devant le même Tribunal qui devrait cette fois-ci statuer sur le point de savoir si son modèle « s’inscrit dans une perspective économique à l’issue de laquelle [beIN SPORT] peut envisager d’atteindre un équilibre économique ».

Dans l’immédiat, l’on retiendra de ce jugement que « si beIN SPORT dispose de moyens financiers très importants, c’est aussi le cas du groupe de médias et de télécommunications VIVENDI, opérateur historique et leader du secteur de la télévision payante en France, dont fait partie CANAL + […] qui ne démontre pas que l’entrée de beIN SPORT sur le marché de la télévision payante l’ait désorganisé ».

Cette action aura néanmoins permis à GCP d’exercer une pression judiciaire sur son concurrent afin de le « discipliner » dans le cadre de sa politique d’achat de droits, ce qui était vraisemblablement son principal objectif !

Philippe BONNET

1 Cf. décision de l’Autorité de la concurrence n°12-DCC-101 du 23 juillet 2012 : les chaînes beIN SPORT relèvent de la catégorie des chaînes « premium mono-contenu ».

2 Les espaces publicitaires des chaînes beIn SPORT sont commercialisées par la régie TF1 Publicité qui détient une position dominante sur le marché de la publicité télévisée.

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